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LES FEMMES DU CAIRE.

quinze francs environ) par année. Abdallah m’en a fait voir plusieurs dans le quartier cophte et dans le quartier grec. C’étaient des salles magnifiquement décorées avec des pavés de marbre et des fontaines, des galeries et des escaliers comme dans les palais de Gènes ou de Venise, des cours entourées de colonnes et des jardins ombragés d’arbres précieux ; il y avait de quoi mener l’existence d’un prince, sous la condition de peupler de valets et d’esclaves ces superbes intérieurs. Et dans tout cela, du reste, pas une chambre habitable, à moins de frais énormes, pas une vitre à ces fenêtres si curieusement découpées, ouvertes au vent du soir et à l’humidité des nuits. Hommes et femmes vivent ainsi au Caire ; mais l’ophthalmie les punit souvent de leur imprudence, qu’explique le besoin d’air et de fraîcheur. Après tout, j’étais peu sensible au plaisir de vivre campé, pour ainsi dire, dans un coin d’un palais immense ; il faut dire encore que beaucoup de ces bâtiments, ancien séjour d’une aristocratie éteinte, remontent au règne des sultans mamelouks et menacent sérieusement ruine.

Abdallah finit par me trouver une maison beaucoup moins vaste, mais plus sûre et mieux fermée. Un Anglais, qui l’avait récemment habitée, y avait fait poser des fenêtres vitrées, et cela passait pour une curiosité. Il fallut aller chercher le cheik du quartier pour traiter avec une veuve cophte, qui était la propriétaire. Cette femme possédait plus de vingt maisons, mais par procuration et pour des étrangers, ces derniers ne pouvant être légalement propriétaires en Égypte. Au fond, la maison appartenait à un chancelier du consulat anglais.

On rédigea l’acte en arabe ; il fallut le payer, faire des présents au cheik, à l’homme de loi et au chef du corps de garde le plus voisin, puis donner des batchis (pourboires) aux scribes et aux serviteurs ; après quoi, le cheik me remit la clef. Cet instrument ne ressemble pas aux nôtres et se compose d’un simple morceau de bois pareil aux tailles des boulangers, au bout duquel cinq ou six clous sont plantés comme au hasard ; mais il n’y a point de hasard : on introduit cette clef singulière dans