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VOYAGE EN ORIENT.

sa patience ; tout Européen qui n’est ni industriel ni marchand est un personnage en Égypte. Le cheik s’assit sur un des divans ; on bourra sa pipe et on lui servit du café. Alors, il commença son discours, qu’Abdallah me traduisit à mesure :

— Il vient vous rapporter l’argent que vous avez donné pour louer la maison.

— Et pourquoi ? Quelle raison donne-t-il ?

— Il dit que l’on ne sait pas votre manière de vivre, qu’on ne connaît pas vos mœurs.

— A-t-il observé qu’elles fussent mauvaises ?

— Ce n’est pas cela qu’il entend ; il ne sait rien là-dessus.

— Mais, alors, il n’en a donc pas une bonne opinion ?

— Il dit qu’il avait pensé que vous habiteriez la maison avec une femme.

— Mais je ne suis pas marié.

— Cela ne le regarde pas, que vous le soyez ou non ; mais il dit que vos voisins ont des femmes, et qu’ils seront inquiets si vous n’en avez pas. D’ailleurs, c’est l’usage ici.

— Que veut-il donc que je fasse ?

— Que vous quittiez la maison, ou que vous choisissiez une femme pour y demeurer avec vous.

— Dites-lui que, dans mon pays, il n’est pas convenable de vivre avec une femme sans être marié.

La réponse du vieillard à cette observation morale était accompagnée d’une expression toute paternelle que les paroles traduites ne peuvent rendre qu’imparfaitement.

— Il vous donne un conseil, me dit Abdallah : il dit qu’un monsieur (un effendi) comme vous ne doit pas vivre seul, et qu’il est toujours honorable de nourrir une femme et de lui faire quelque bien. Il est encore mieux, ajoute-t-il, d’en nourrir plusieurs, quand la religion que l’on suit le permet.

Le raisonnement de ce Turc me toucha ; cependant ma conscience européenne luttait contre ce point de vue, dont je ne compris la justesse qu’en étudiant davantage la situation des femmes dans ce pays. Je fis répondre au cheik pour le prier