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VOYAGE EN ORIENT.

suffisance, pour soutenir thèse contre un si redoutable adversaire.

Au fond, il eût donné beaucoup pour aller tout seul faire un tour de promenade sous les sycomores de sa villa de Mello. Affriandés d’un spectacle si piquant, les courtisans allongeaient le cou et ouvraient de grands yeux. Quoi de pire que de risquer, en présence de ses sujets, de cesser d’être infaillible ? Sadoc semblait alarmé ; le prophète Ahias de Silo réprimait à peine un vague et froid sourire, et Banaïas, jouant avec ses décorations, manifestait une stupide allégresse qui projetait un ridicule anticipé sur le parti du roi. Quant à la suite de Balkis, elle était muette et imperturbable : des sphinx. Ajoutez aux avantages de la reine de Saba la majesté d’une déesse et les attraits de la plus enivrante beauté, un profil d’une adorable pureté où rayonne un œil noir comme ceux des gazelles, et si bien fendu, si allongé, qu’il apparaît toujours de face à ceux qu’il perce de ses traits ; une bouche incertaine entre le rire et la volupté ; un corps souple et d’une magnificence qui se devine au travers de la gaze ; imaginez aussi cette expression fine, railleuse et hautaine avec enjouement des personnes de très-grande lignée habituées à la domination, et vous concevrez l’embarras du seigneur Soliman, à la fois interdit et charmé, désireux de vaincre par l’esprit, et déjà à demi vaincu par le cœur. Ces grands yeux noirs et blancs, mystérieux et doux, calmes et pénétrants, se jouant sur un visage ardent et clair comme le bronze nouvellement fondu, le troublaient malgré lui. Il voyait s’animer à ses côtés l’idéale et mystique figure de la déesse Isis…

La seconde pause était terminée. La politesse naturelle aux Orientaux arrêtait encore les observations critiques. On renouvela le tabac et le feu des pipes ; on demanda des rafraîchissements.

Alors, reprit le conteur, s’entamèrent, vives et puissantes,