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VOYAGE EN ORIENT.

la défiance ombrageuse de Soliman. Depuis quelques jours, la situation s’était aggravée. Dans tout l’éclat d’un triomphe inespéré, impossible, miraculeux, Adoniram, on s’en souvient, avait disparu. Cette absence étonnait toute la cour, hormis, apparemment, le roi, qui n’en avait point parlé à son grand prêtre ; retenue inaccoutumée.

De sorte que le vénérable Sadoc, se voyant inutile, et résolu à rester nécessaire, était réduit à combiner, parmi de vagues déclamations prophétiques, des réticences d’oracle propres à faire impression sur l’imagination du prince. Soliman aimait assez les discours, surtout parce qu’ils lui offraient l’occasion d’en résumer le sens en trois ou quatre proverbes. Or, dans cette circonstance, les sentences de l’Ecclésiaste, loin de se mouler sur les homélies de Sadoc, ne roulaient que sur l’utilité de l’œil du maître, de la défiance, et sur le malheur des rois livrés à la ruse, au mensonge et à l’intérêt. Et Sadoc, troublé, se repliait dans les profondeurs de l’inintelligible.

— Bien que vous parliez à merveille, dit Soliman, ce n’est point pour jouir de cette éloquence que je suis venu vous trouver dans le temple : malheur au roi qui se nourrit de paroles ! Trois inconnus vont se présenter ici, demander à m’entretenir, et ils seront entendus, car je sais leur dessein. Pour cette audience, j’ai choisi ce lieu ; il importait que leur démarche restât secrète,

— Ces hommes, seigneur, quels sont-ils ?

— Des gens instruits de ce que les rois ignorent : on peut apprendre beaucoup avec eux.

Bientôt, trois artisans, introduits dans le parvis intérieur du temple, se prosternèrent aux pieds de Soliman. Leur attitude était contrainte et leur regard inquiet.

— Que la vérité soit sur vos lèvres, leur dit Soliman, et n’espérez pas en imposer au roi : vos plus secrètes pensées lui sont connues. Toi, Phanor, simple ouvrier du corps des maçons, tu es l’ennemi d’Adoniram, parce que tu hais la suprématie des mineurs, et, pour anéantir l’œuvre de ton maître, tu as mêlé