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APPENDICE.

croyants se réservent les couleurs claires et abandonnent les teintes sombres aux Grecs, juifs, Arméniens et autres rayas.

Je viens de dire tout ce que je sais de la peinture chez les Turcs. Il serait difficile de tirer encore quelque détail intéressant d’un sujet si pauvre, qu’on n’avait pas songé encore à le traiter ; j’ai voulu seulement rectifier quelques idées fausses répandues parmi nous touchant l’horreur supposée des mahométans pour les images. On a vu déjà que ce préjugé ne devait être attribué qu’aux Turcs de race, et qu’il est encore sujet chez eux à beaucoup d’exceptions. Mais il ne faut pas croire même que les Turcs mutilent les images par fanatisme religieux ; cela n’a pu arriver que dans les premiers temps de l’islamisme, lorsqu’il s’agissait d’extirper de l’Asie le culte encore vivace des idoles. Le sphinx de la plaine de Gisèh, sculpture colossale d’une belle exécution, a subi la mutilation du nez, parce que, longtemps encore après la conquête de l’Égypte par les mahométans, des Sabéens se réunissaient à de certains jours devant cette figure pour loi sacrifier des coqs blancs. Au reste, tout en s’abstenant de sculpture plus sévèrement encore que de peinture, les Turcs ont fait souvent concourir des statues et des bas-reliefs à l’ornementation de leurs places publiques. Celle de l’Atméidan, qui est l’ancien hippodrome des Byzantins, fut ornée longtemps de trois statues de bronze prises à Bude pendant une guerre contre la Hongrie. Aujourd’hui même, on admire au centre de la place un piédestal couvert de bas-reliefs byzantins, qui sert de base à un obélisque et qui présente une cinquantaine de figures fort bien conservées. Je ne parle pas d’une colonne torse en bronze figurant trois serpents entrelacés, que l’un dit avoir servi de support au trépied d’Apollon à Delphes, et qui se voit sur la même place ; d’ailleurs, les têtes manquent.

Quand on traverse pour la première fois les cimetières de Péra et du Scutari, l’on s’imagine voir de loin toute une armée de statues blanches ou peintes dispersée sur les gazons verts à l’ombre des cyprès énormes ; les unes portent des turbans,