soleil est couché, on est aussi libre ici toute la nuit qu’on l’est à Londres… et qu’on l’est peu à Paris !
Il avait tiré de sa poche une lanterne de fer-blanc dont les replis en toile s’allongeaient comme des feuilles de soufflet qui s’écartent, et y planta sa bougie.
— Voyez, reprit-il, comme ces longues allées de cyprès du grand champ des Morts sont encore animées à cette heure.
En effet, des robes de soie ou des féredjés de drap fin passaient çà et là en froissant les feuilles des buissons ; des caquetages mystérieux, des rires étouffés traversaient l’ombre des charmilles. L’effet des lanternes voltigeant partout aux mains des promeneurs me faisait penser à l’acte des nonnes de Robert, — comme si ces milliers de pierres plates éclairées au passage eussent dû se lever tout à coup ; mais non, tout était riant et calme ; seulement, la brise de la mer berçait dans les ifs et dans les cyprès les colombes endormies. Je me rappelai ce vers de Goethe :
Cependant nous nous dirigions vers Péra, en nous arrêtant parfois à contempler l’admirable spectacle de la vallée qui descend vers le golfe, et de l’illumination couronnant le fond bleuâtre, où s’estompaient les pointes des arbres, et où, par places, luisait la mer, reflétant les lanternes de couleur suspendues aux mâts des vaisseaux.
— Vous ne vous doutez pas, me dit le vieillard, que vous causez en ce moment avec un ancien page de l’impératrice Catherine II ?
— Cela est bien respectable, pensai-je ; car cela doit remonter au moins aux dernières années du siècle dernier.
— Je dois dire, ajouta le vieillard avec quelque prétention, que notre souveraine (car je suis Russe) était, à cette époque, un peu… ce que je deviens aujourd’hui.
Il soupira. Puis il se mit à parler longtemps de l’impératrice, de son esprit, de sa grâce charmante, de sa bonté.