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APPENDICE.

gasin de son unique producteur ! Tu n’aurais plus l’idée d’y faire voltiger des péris fantastiques sur le front heureux d’un bon musulman endormi. Ne viens pas voir le Nil, que le pyroscaphe dispute au crocodile, le désert sillonné par les roues anglaises, l’île de Roddah transformée en jardin anglais par Ibrahim, avec des rivières factices, des gazons et des ponts chinois. Songe que les pavillons de Choubrah sont éclairés au gaz, que le Mokattam est couvert de moulins à vent, et qu’on parle de restaurer les pyramides, depuis Gizèh jusqu’au Darfour, pour en faire des télégraphes !… Oh ! reste à Paris, et puisse le succès de ton ballet se prolonger jusqu’à mon retour ! Je retrouverai à l’Opéra le Caire véritable, l’Égypte immaculée, l’Orient qui m’échappe, et qui t’a souri d’un rayon de ses yeux divins. Heureux poète ! tu as commencé par réaliser ton Égypte avec des feuilles et des livres ; aujourd’hui, la peinture, la musique, la chorégraphie s’empressent d’arrêter au vol tout ce que tu as rêvé d’elles ; les génies de l’Orient n’ont jamais eu plus de pouvoir. L’œuvre des pharaons, des califes et des soudans disparaît presque entièrement sous la poudre du khamsin ou sous le marteau d’une civilisation prosaïque ; mais, sous tes regards, ô magicien ! son fantôme animé se relève et se reproduit avec des palais, des jardins presque réels, et des péris presque idéales ! Mais c’est à cette Égypte-là que je crois et non pas à l’autre : aussi bien les six mois que j’ai passés là sont passés ; c’est déjà le néant ; j’ai vu encore tant de pays s’abîmer derrière mes pas comme des décorations de théâtre ; que m’en reste-il ? une image aussi confuse que celle d’un songe : le meilleur de ce qu’on y trouve, je le savais déjà par cœur.


fin de l’appendice.