des animaux réveillés par notre passage. Le courrier jetait des paquets à des mains ou à des pattes invisibles, et puis nous repartions au grand trot de son petit cheval.
Vers le point du jour, nous aperçûmes, du haut des montagnes, une grande nappe d’eau, vaste et coupant au loin l’horizon comme une mer : c’était le lac Léman.
Une heure après, nous prenions le café à Ferney en attendant l’omnibus de Genève.
De là, en deux heures, par des campagnes encore vertes, par un pays charmant, au travers des jardins et des joyeuses villas, j’arrivais dans la patrie de Jean-Jacques Rousseau.
Il est bon de convenir aujourd’hui que l’Europe est parfaitement connue à tout le monde ; un voyageur ne peut donc faire tout au plus que l’itinéraire de sa route, la chronique de ses aventures, et, au besoin, transcrire la carte de son dîner, comme faisait Louis XVIII, dans le plus intéressant itinéraire qu’on ait jamais donné. Par exemple, n’est-il pas intéressant de savoir qu’à Genève il est fort difficile d’avoir des truites, et que ces poissons sont aussi rares dans le Léman que les huîtres à Ostende, et les carpes dans le Rhin ? L’an dernier, je m’émerveillais, à une table d’hôte de Mannheim, de ne jamais manger de carpe, l’aimant beaucoup. (Il faut ajouter encore que je n’ai pu obtenir de cidre à Rouen, ni de pâté de foies à Strasbourg, sous prétexte que ce n’était pas la saison.)
— Monsieur, me répondit un Allemand de cette bonne ville de Mannheim, croyez-vous que l’on pêche comme cela des carpes dans le Rhin ?
— On m’a montré, répondis-je froidement, chez Chevet, quelques-uns de ces animaux qui avaient la prétention d’y avoir séjourné.
— Je ne dis pas, monsieur, observa l’Allemand, qu’il n’y ait pas de carpes dans le Rhin…
— Dites-le, si vous voulez, monsieur ; à Paris, nous appellerions cela un paradoxe ; mais, ici, cela peut-être parfaitement vrai.