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DE PARIS À CYTHÈRE.

terre, comme le premier homme. Quant à sa voiture, elle voguait déjà fort loin.

En faisant quelques pas, le jeune homme aperçut heureusement une chaumière savoyarde, et se hâta d’aller demander asile. Il n’y avait dans cette maison que deux femmes, la tante et la nièce. Tu peux juger des cris et des signes de croix qu’elles firent en voyant venir à elles un monsieur déguisé en modèle d’académie.

L’attaché parvint à leur faire comprendre la cause de sa mésaventure, et, voyant un fagot près du foyer, dit à la tante qu’elle le jetât au feu, et qu’on la payerait bien.

— Mais, dit la tante, puisque vous êtes tout nu, vous n’avez pas d’argent.

Ce raisonnement était inattaquable. Heureusement, le domestique arriva dans la maison, et cela changea la face des choses. Le fagot fut allumé, l’attaché s’enveloppa dans une couverture, et tint conseil avec son domestique.

La contrée n’offrait aucune ressource : cette maison était la seule à deux lieues à la ronde ; il fallait donc repasser la frontière pour chercher des secours.

— Et de l’argent ? dit l’attaché à son Frontin.

Ce dernier fouilla dans ses poches, et, comme le valet d’Alceste, il n’en put guère tirer qu’un jeu de cartes, une ficelle, un bouton et quelques gros sous, le tout fort mouillé.

— Monsieur, dit-il, une idée ! Je me mettrai dans votre couverture, et vous prendrez ma culotte et mon habit. En marchant bien, vous serez dans quatre heures à A***, et vous y trouverez ce bon général T…, qui nous faisait tant fête à notre passage.

L’attaché frémit à cette proposition : endosser une livrée, passer le pantalon d’un domestique et se présenter aux habitants d’A***, au commandant de la place et à son épouse ! Il avait trop vu Ruy Blas pour admettre ce moyen.

— Ma bonne femme, dit-il à son hôtesse, je vais me mettre