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DE PARIS À CYTHÈRE.

Qu’est-ce donc que ce monstre musical ? Au troisième couplet, elle chante le premier vers avec sa voix de basse, le second avec sa voix de tête, et ainsi de suite. Après ce tour de force inouï, l’enthousiasme du public éclata vivement, la grosse femme fut couverte de fleurs, et il en fallait beaucoup. Puis l’on commença Preciosa. Mais je ne tardai pas à m’apercevoir d’une chose : c’est que les acteurs déclamaient purement et simplement les vers du poëme, pendant que l’orchestre jouait en sourdine la musique de Weber. Je me hâtai de sortir du théâtre, espérant trouver encore ouvert celui des Marionnettes ; mais je n’arrivai que pour entendre la dernière détonation qui engloutissait le docteur Faust dans les enfers.

J’ai pourtant fini par arriver à Munich par le chemin de fer d’Augsbourg.


v — UN JOUR À MUNICH


À une époque où l’on voyageait fort peu, faute de bateaux à vapeur, de chemins de fer, de chemins ferrés, et même de simples chemins, il y eut des littérateurs, tels que d’Assoucy, Le Pays et Cyrano de Bergerac, qui mirent à la mode les voyages dits fabuleux. Ces touristes hardis décrivaient la lune, le soleil et les planètes, et procédaient du reste dans ces inventions de Lucien, de Merlin Coccaïe et de Rabelais. Je me souviens d’avoir lu, dans un de ces auteurs, la description d’une étoile qui était toute peuplée de poëtes. En ce pays-là, la monnaie courante était de vers bien frappés ; on dînait d’un ode, on soupait d’un sonnet ; ceux qui avaient en portefeuille un poëme épique pouvaient traîter d’une vaste propriété.

Un autre pays de ce genre était habité seulement par des peintres ; tout s’y gouvernait à leur guise, et les écoles diverses se livraient parfois des batailles rangées. Bien plus, tous les types créés par les grands artistes de la terre avaient là une existence matérielle, et l’on pouvait s’entretenir avec la Judith