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DE PARIS À CYTHÈRE.

parence suspecte dans tout cela. Non, on me l’avait bien dit, mais je ne le croyais pas ; c’est ainsi que l’amour se traite à Vienne ! Eh bien, c’est charmant. À Paris, les femmes vous font souffrir trois mois, c’est la règle ; aussi peu de gens ont la patience de les attendre. Ici, les arrangements se font en trois jours, et l’on sent dès le premier que la femme céderait, si elle ne craignait pas de vous faire l’effet d’une grisette ; car c’est là, il paraît, leur grande préoccupation. D’ailleurs, rien de plus amusant que cette poursuite facile dans les spectacles, casinos et bals ; cela est tellement reçu, que les plus honnêtes ne s’en étonnent pas le moins du monde ; les deux tiers au moins des femmes viennent seules dans les lieux de réunion, ou vont seules dans les rues. Si vous tombez par hasard sur une vertu, votre recherche ne l’offense pas du tout, elle cause avec vous tant que vous voulez. Toute femme que vous abordez se laisse prendre le bras, reconduire ; puis, à sa porte, où vous espérez entrer, elle vous fait un salut très-gentil et très-railleur, vous remercie de l’avoir reconduite, et vous dit que son mari ou son père l’attend dans la maison. Tenez-vous à la revoir, elle vous dira fort bien que, le lendemain ou le surlendemain, elle doit aller dans tel bal ou tel théâtre. Si au théâtre, pendant que vous causez avec une femme seule, le mari ou l’amant, qui, s’était allé promener dans les galeries ou qui était descendu au café, revient tout à coup près d’elle, il ne s’étonne pas de vous voir causer familièrement ; il salue et regarde d’un autre côté, heureux sans doute d’être soulagé quelque temps de la compagnie de sa femme.

Je te parle ici un peu déjà par mon expérience et beaucoup par celle des autres ; — mais à quoi cela peut-il tenir ? car, vraiment, je n’ai vu rien de pareil même en Italie ; — sans doute à ce qu’il y a tant de belles femmes dans la ville, que les hommes qui peuvent leur convenir sont, en proportion, beaucoup moins nombreux. À Paris, les jolies femmes sont si rares, qu’on les met à l’enchère ; on les choie, on les garde, et elles sentent aussi tout le prix de leur beauté. Ici, les femmes font