Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/484

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
472
lorely.

On revient à Bade en suivant le cours de la rivière ; et quelle rivière ! Elle n’est guère navigable que pour les canards ; les oies y ont pied presque partout. Pourtant des ponts orgueilleux la traversent de tous côtés ; des ponts de pierre, des ponts de bois et jusqu’à des ponts suspendus en fil de fer. Vous n’imaginez pas à quel point on tourmente ce pauvre filet d’eau limpide, qui ne demanderait pas mieux que d’être un simple ruisseau. On a construit des barrages de l’autre côté de la ville, afin que, pendant qu’il y passe, il présente plus de surface. Lorsqu’on annonçait à Bade l’arrivée de l’empereur de Russie, on parla de jeter quelques seaux d’eau dans la rivière pour la faire passer à l’état de fleuve.

Mais laissons en paix cette pauvre rivière de Baden-Baden, le pays le moins lymphatique du monde. Toute la ville est en rumeur ; qu’arrive-t-il ? C’est l’armée du grand-duc qui passe par la promenade : cinquante hommes de cavalerie, cent hommes d’infanterie, huit tambours et vingt-cinq musiciens. Cette revue majestueuse me donne une assez pauvre idée de l’éducation militaire des troupes badoises. Mais, plus tard, j’appris que presque tous ces soldats n’étaient que d’honnêtes cultivateurs du pays, qui s’en vont, les jours de parade, se faire habiller au château, et y reportent ensuite fidèlement cette défroque empruntée. Les forces militaires de la ville de Bade ne se composent, en réalité, que de deux cents uniformes un peu piqués, avec équipement complet, qu’il est loisible à la ville de faire remplir par des figurants quelconques, quand elle veut donner aux étrangers une idée de sa puissance.

Les divertissements du reste de la fête se réduisaient à ceux de tous les jours. Nous allons passer à la pièce de circonstance, jouée au Théâtre-Allemand en l’honneur du grand-duc et de sa famille. Là surtout, il faut louer l’intention ; des guirlandes de fleurs et de feuillage véritables ornaient le devant des loges, dont les belles spectatrices décoraient mieux l’intérieur. Le rideau levé, une actrice s’est avancée, dans le costume de Thalie, et a prononcé, en quelques centaines de vers, l’éloge