Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/558

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
546
LORELY.

deaux en toile de Perse, en brocatelle ou en velours d’Utrecht. À l’entrée trône la maîtresse de l’établissement sur un fauteuil élevé, d’où elle préside d’un air solennel à la confection de certains gâteaux de crème frite qui ont la forme de gros macarons. À ses pieds est une grande plaque de cuivre dont les bossuages donnent à cette pâtisserie la forme nécessaire. Tenant une longue cuiller avec la majesté de la déesse Hébé, elle distribue la pâte blanche dans plusieurs séries de petites cases rondes, chauffées en dessous par la flamme d’un grand brasier. À ses côtés brillent d’immenses coquemards en cuivre jaune, aux anses sculptées, qui ne sont sans doute là que pour l’ornement. — Ce qui frappe encore plus l’étranger qui passe, c’est que chacun de ces cafés est desservi par trois ou quatre jeunes filles frisonnes qui, avec leurs casques d’or, leurs dentelles et leurs jupes de toile de Perse, se précipitent sur le passant en criant : « Dis donc, monsieur ! » L’une vous enlève votre chapeau, l’autre votre manteau, la troisième vous enlève vous-même avec la force que l’habitude du lessivage des maisons et des frottements du cuivre peut communiquer à de si beaux bras, et, quoi qu’on fasse, on se trouve bientôt attablé dans un de ces cabinets-alcôves, dont il était difficile d’abord de deviner la destination.

Une fois que vous vous êtes laissé servir un plat de crème frite imprégnée de sucre et de beurre, ou des gaufres, ou toute autre pâtisserie qu’il faut digérer à l’aide de plusieurs tasses de café ou de thé, ces belles du Nord reprennent leur vertu et ne se montrent pas moins sauvages que des cigognes d’Héligoland. D’ailleurs la police l’exige. — C’est une singulière race que ces Frisonnes si grandes, si blanches, si bien découplées, et si différentes d’aspect des Hollandaises ordinaires. On ne peut mieux les comparer, je crois, qu’à nos Arlésiennes, en faisant la différence de la couleur et du climat. Sont-ce là les nixes d’Henri Heine ou les cygnes des ballades scandinaves ? Elles sont vives, très-spirituelles même, et n’ont rien du calme flamand ; cependant, on sent une certaine froideur sous cette