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LORELY.

solennité, nous gardait d’autres merveilles et d’autres hommages rendus à Rembrandt. Pourquoi faut-il que le grand artiste n’ait été si unanimement fêté qu’après deux cents ans dans la ville où il a passé presque toute sa vie ? Ne pouvant attaquer son talent, on l’a traité d’avare : on a raconté que ses élèves peignaient, sur des fragments de cartes découpées, des ducats et des florins qu’ils semaient dans son atelier, afin qu’il les fît rire en les ramassant. Ce qui est vrai, c’est que Rembrandt le réaliste employait toutes ses économies à acquérir des armes, des costumes et des curiosités qui lui servaient pour ses tableaux. Ne lui a-t-on pas reproché d’avoir épousé une paysanne et d’avoir feint d’être mort pour profiter de la plus value d’une vente après décès ? La biographie fondée sur des preuves nouvelles que va publier dans trois mois M. Scheltema rétablira sans doute la vérité des faits. — Il s’est rencontré même un critique qui appréciait le talent d’après une échelle arithmétique, et qui, supposant le nombre 20 comme étalon général, accordait à Rembrandt 15 comme composition, 6 comme dessin, 17 comme coloris et 13 comme expression ? Ce mathématicien s’appelait de Piles.

Le parc, illuminé de deux mille becs de gaz, a bien vengé l’artiste de ces obscurs blasphémateurs. Au delà des allées d’arbres précieux et des parterres bariolés des dernières bandes de tulipes, on entrait dans une vaste salle dont les peintures latérales avaient été exécutées par les peintres actuels de l’école hollandaise ; Gérard Dow, Flinck et Eeckout, les élèves de Rembrandt avaient leur part de cette glorification. J’ai remarqué les compositions de MM. Pieneman, van Hove père et fils, Rochussen, Peduzzi, Israëls, Bosboom, Schwartze, von de Laar, Calisch, etc. Chaque panneau offrait une scène de la vie artistique du maître, et j’ai trouvé très-ingénieuse l’idée de le représenter peignant ses principaux tableaux. Notamment pour la Ronde de nuit, on voyait le peintre dans son atelier, entouré de ses modèles en costume : les deux fiers compagnons vêtus à la mode espagnole, la jeune bohémienne en robe de soie