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VOYAGE EN ORIENT.

manger du porc et du lièvre, et même toucher les chiens ; ce qui est défendu aux autres Turcs, malgré la révérence qu’ils ont tous pour le souvenir du chien des sept Dormants.

Quand nous entrâmes dans la cour du téké, nous vîmes un grand nombre de ces animaux auxquels des frères servants distribuaient le repas du soir. Il y a pour cela des donations fort anciennes et fort respectées. Les murs de la cour, plantée d’acacias et de platanes, étaient garnis çà et là de petites constructions en bois peint et sculpté suspendues à une certaine hauteur, comme des consoles. C’étaient des logettes consacrées à des oiseaux qui, au hasard, en venaient prendre possession et qui restaient parfaitement libres. La représentation donnée par les derviches hurleurs ne m’offrit rien de nouveau, attendu que j’en avais déjà vu de pareilles au Caire. Ces braves gens passent plusieurs heures à danser en frappant fortement la terre du pied autour d’un mât décoré de guirlandes, qu’on appelle sdry ; cela produit un peu l’effet d’une farandole où l’on resterait en place. Ils chantent sur des intonations diverses une éternelle litanie qui a pour refrain : Allah hay ! c’est-à-dire « Dieu vivant ! » Le public est admis à ces séances dans des tribunes hautes ornées de balustrades de bois. Au bout d’une heure de cet exercice, quelques-uns entrent dans un état d’excitation qui les rend melbous (inspirés). Ils se roulent à terre et ont des visions béatifiques.

Ceux que nous vîmes dans cette représentation portaient des cheveux longs sous leur bonnet de feutre en forme de pot de fleurs renversé ; leur costume était blanc avec des boutons noirs ; on les appelle kadris, du nom de leur fondateur.

Un des assistants nous raconta qu’il avait vu les exercices des derviches du téké de Péra, lesquels sont spécialement tourneurs. Comme à Scutari, on entre dans une immense salle de bois, dominée par des galeries et des tribunes où le public est admis sans conditions ; mais il est convenable de déposer une légère aumône. Au téké de Péra, tous les derviches ont des robes blanches plissées comme des fustanelles grecques. Leur