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la main de la femme qu’il aimait, et qu’on éloignait de ses regards parce que son amour était partagé. Ce fut dans ces angoisses de la lutte qu’il écrivit deux romans étranges, Bug-Jargal et Han d’Islande, qui révélaient dans son talent une tendance vers l’atroce et l’horrible que ses vers n’auraient point laissé soupçonner. Un biographe qui était, à cette époque, trop avant dans l’amitié du poëte pour ne pas connaître le fond de sa pensée, M. de Sainte-Beuve, assure que Han d’Islande était un roman allégorique, destiné à n’être compris que par une personne, celle-là précisément que le poëte ne pouvait plus voir. D’après cette explication, Éthel emprisonnée dans une tour, c’était la femme aimée ; Ordener, M. Victor Hugo lui-même, avec la chaste ardeur d’un premier amour ; le hideux Han d’Islande, c’était l’obstacle. M. Victor Hugo, qui n’a jamais aimé l’obstacle, le peignait dès lors en laid[1]. Quoi qu’il en soit, ces deux romans offraient un mélange du beau et du laid, du gracieux et de l’atroce, qui annonce que, dès lors, s’agitaient dans l’esprit de M. Hugo les idées qui devaient plus tard se coordonner d’une manière plus systématique et devenir sa poétique. Han d’Islande, cet ogre qui habite le creux d’un rocher avec un ours moins féroce que lui, et se nourrit avec lui de chair palpitante, comme il se désaltère dans le sang humain, sert à faire ressortir deux figures aux lignes pures et suaves, Éthel et Ordener, comme on voit,

  1. Han d’Islande fut publié en 1820.