Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/97

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de sa tête, vous êtes chasseur voyez-vous cet essaim d’oiseaux qui fend la nue ? Il n’y en a pas là un seul qui ne sente de loin l’odeur de la poudre et ne flaire le fusil du chasseur. Eh bien ! je suis un de ces oiseaux, je me suis fait canard sauvage. » Cette réponse fit une espèce de scandale à la Malmaison. Un des beaux esprits du salon s’étant écrié : « Ce Ducis est donc un Romain ? » quelqu’un ne put s’empêcher d’ajouter : « Pas du temps des empereurs ! » L’esprit est, de toutes les libertés, la dernière qui périt en France. Ducis, comme Chateaubriand, comme Delille, demeura inébranlable jusqu’au bout. Trois numéros du Moniteur annoncèrent en vain sa nomination comme sénateur ; sa résistance lassa l’insistance du nouvel empereur. Aussi, quand on voulut lui donner plus tard la croix d’honneur, il se contenta de répondre : « J’ai refusé pis. »

Au premier rang de ces écrivains jaloux de la dignité des lettres et de la liberté de leur pensée, vient se placer naturellement le nom de madame de Staël, dont l’esprit indépendant et le talent peu fait à la discipline avaient été invités à voyager hors des frontières, et qui ne pouvait publier son livre de l’Allemagne qu’au dehors, « attendu, » lui écrit le ministre de la police impériale, en lui signifiant son passe-port, « qu’il a paru que l’air de la France ne lui convient pas. » Il est remarquable que les écrits les plus éclatants de cette époque, les Martyrs, l’Itinéraire à Jérusalem, Corinne, l’Allemagne, la Pitié, furent l’œuvre de plumes exilées ou disgraciées.