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TANTE GERTRUDE

bien que votre Paule n’est plus coquette !… Mais ne comprenez-vous pas que je l’ai aimé malgré moi, sans m’en douter même ? Croyez-vous que l’on puisse vivre dans la société continuelle d’un être supérieur, ayant pour lui les charmes d’une nature distinguée, capable de tous les dévouements, jeune, séduisant, et qu’on y reste insensible ?… Je n’avais jamais aimé… mon cœur a été à lui naturellement ! Je l’ai admiré d’abord… puis, je me suis aperçue que mon admiration se doublait d’un autre sentiment… Mais vous, tante Gertrude, ne deviez-vous pas prévoir ce danger ? Pourquoi m’avez-vous pour ainsi dire jetée dans ses bras, m’obligeant à passer de longues heures dans sa société, n’ayant que lui pour confident, pour ami…

— Malheureuse ! est-ce que j’allais m’imaginer que tu serais assez sotte, assez stupide pour t’éprendre d’un valet que je vais chasser sur l’heure ?

Paule devint encore plus pâle ; un véritable effroi parut dans ses yeux bleus.

— Oh ! tante Gertrude, supplia-t-elle en joignant les mains, vous ne ferez pas cela ! Songez à la petite Madeleine !

— Par exemple, je m’en moque pas mal ! Je ne sais qu’une chose, c’est que ce vil manant a osé lever les yeux sur toi, la fille de mon frère, une Neufmoulins ! Et je n’ai qu’un regret, c’est que le supplice de la roue n’existe plus pour tous ces coquins !

Paule entrevit en une subite vision le chagrin du jeune homme en se voyant ainsi chassé, et elle tenta un dernier effort.

— Tante Gertrude, je vous en prie, insista-t-elle, soyez bonne, laissez-moi épouser Jean.

— Jamais de la vie ! déclara la vieille fille d’une voix tonnante. Et si tu n’oublies pas immédiatement tout ce qui a rapport à cette folie, je te chasse aussi, et définitivement cette fois !

— Vous n’aurez pas cette peine, répondit fièrement Mme Wanel, qui vit que toute insistance serait inutile et se leva pour sortir. Jean Bernard ne partira pas seul d’ici ; où il ira, je le suivrai. Il m’aime, je le sais ; je serai fière de