silence. Les domestiques vont croire à des catastrophes extraordinaires, eux qui n’ont jamais vu leur vieux dragon que bougonnant et pestant ! Maintenant, mes enfants, embrassez-moi et allez vous promener. J’en ai des comptes à débrouiller !
Mais les fameux comptes ne durent guère se débrouiller ce jour-là, car après le départ des jeunes gens, la vieille fille, brisée d’émotion, resta bien longtemps enfoncée dans son fauteuil, pleurant de joie, se remémorant ses alternatives d’espoir et de découragement dans l’exécution du projet aussi peu commode qu’original, que grâce au ciel elle avait enfin pu réaliser !
Il ne fut bruit pendant un mois, dans la petite ville d’Ailly, que des événements qui s’étaient passés au château, de Jean Bernard, comte de Ponthieu, et du mariage de Mme Wanel. Comme toujours, les commérages allèrent leur train ; puis, comme tout marche dans la vie et que tout s’y succède avec une rapidité vertigineuse, on parla bientôt d’autre chose.
Mlle de Neufmoulins revint occuper sa modeste maisonnette, mais elle n’y était pas souvent seule. Chaque matin, on la voyait prendre la direction du château, escortée d’une grande fillette, aux cheveux bruns flottants, aux yeux noirs rieurs et superbes, que tout le monde se montrait avec admiration et qui répondait joyeuse à tous les saluts, aux attentions dont elle était l’objet.
— C’est Mlle Madeleine de Ponthieu. Elle est aussi belle que bonne, répétait-on sur son passage.
Et le soir, les habitants qui prenaient le frais sur le pas de leurs portes se découvraient respectueusement devant la vieille fille, qui passait, droite et fière, appuyée au bras d’un élégant cavalier de haute taille, de tournure distinguée, au visage mâle et énergique.
— Quel homme, que ce comte de Ponthieu ! murmuraient les jeunes gens d’un air envieux.
— A-t-elle eu de la chance, la petite Paulette ! disaient les femmes d’un ton jaloux et dépité.
Mais la comtesse de Ponthieu, inconsciente des critiques, rayonnante et plus jolie que jamais,