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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/67

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TANTE GERTRUDE

dire qu’il se privait même de manger pour m’apporter des douceurs lorsqu’il venait me voir à la pension. Et je l’ai grondé ! et il a grondé Margotte pour me l’avoir dit ! Il n’y a personne au monde d’aussi généreux, d’aussi bon que notre « maman Jean », concluait la petite d’un air important.

Et Mlle Gertrude qui, selon son habitude, racontait toujours tout à sa nièce, après lui avoir fait part des confidences de l’enfant, ajoutait de son ton hargneux et méprisant :

— Si c’est permis à des manants, de simples gueux, d’avoir de tels sentiments ! Vraiment, c’est le monde renversé ! Tu verras qu’on finira par élever des statues à des Jean Bernard !

Un jour que le régisseur se préparait à sortir pour une de ses tournées habituelles dans les terres dépendantes du château, il vit arriver à lui Madeleine qui avait déjeuné avec Mlle de Neufmoulins ; elle accourait, suivie de Thérèse, sa grande amie.

— Jean, veux-tu me permettre d’aller passer l’après-midi et la soirée chez Mme Wanel. On dansera et je mettrai la jolie robe de voile blanc que tu m’as donnée pour ma fête, tu sais bien, celle que j’avais le jour de la distribution des prix, et avec laquelle tu m’as trouvée si belle ?

— Vous y allez aussi, mademoiselle Thérèse ? demanda Jean, avec un bon sourire indulgent, devant l’enthousiasme de Madeleine.

— Oh ! non, monsieur Bernard ; je ne m’y sentirais pas à ma place, répondit la demoiselle de compagnie. Mme Wanel reçoit toutes les dames d’officiers : je serais comme perdue au milieu de ces élégantes et j’y ferais triste figure.

Jean avait tressailli en entendant ces simples mots de la jeune fille : « Je ne m’y sentirais pas à ma place. » Il lui parut tout à coup que depuis l’arrivée de sa sœur, il avait oublié parfois qu’il n’était qu’un simple intendant. La réflexion de Thérèse le rappelait à la réalité. Aussi répondit-il d’un ton ferme :

— Non, Madeleine, je ne puis te permettre d’aller en soirée chez Mme Wanel. Elle est mille fois trop bonne de t’avoir invitée et tu l’en remercieras, mais il n’est pas possible d’accepter.