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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/97

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TANTE GERTRUDE

déclara Jean Bernard de sa voix grave et harmonieuse.

— Voyons, Paule, interrogea l’orpheline, gênée par ces compliments et voulant détourner l’attention de sa modeste personne ; vous vous êtes interrompue dans vos souvenirs d’enfance, vous nous disiez que…

— Tiens, oui, c’était intéressant ta petite machine sentimentale, appuya Mlle Gertrude, toujours moqueuse ; reprends-la un peu, ça nous distraira.

Paulette, qui s’était remise à son travail avec une nouvelle ardeur, sourit doucement.

— Je vous disais que c’est vraiment extraordinaire comme depuis quelque temps je suis hantée par mes souvenirs d’enfance.

— Les souvenirs d’enfance ne s’effacent jamais, chantonna Mlle de Neufmoulins d’une voix chevrotante.

— Que de fois je me revois dans ce grand parc, sur les épaules de mon chevalier servant à cette époque, Jean de Ponthieu.

Ce nom, subitement évoqué, fit tressaillir le régisseur, si troublé même qu’il laissa échapper de ses mains le journal qu’il tenait. Mlle Gertrude fut la seule à s’en apercevoir.

— Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il dans votre gazette ? Vous avez l’air bouleversé ? interrogea-t-elle. Un monstre qui a encore coupé une femme en morceaux ? On devrait faire disparaître votre sexe, pendre tous les hommes jusqu’au dernier ! Il n’y a rien de bon à en attendre !

Le régisseur, qui avait eu le temps de se remettre, répondit en souriant :

— Vous êtes vraiment trop indulgente pour nous, mademoiselle ; heureusement que tout le monde n’est pas de votre avis.

Mais, sans s’occuper davantage de lui, Mlle Gertrude continua, s’adressant à sa nièce :

— Est-ce que tu te le rappelles encore ce Ponthieu ?

— Non… pas très bien, murmura Paulette.

— Il doit être très laid en tout cas, s’il n’a pas changé, car c’était un affreux petit bonhomme