Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/177

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» Un jour que je me disputais ave ceux pour une orange verte que l’aîné venait de ramasser, je reçus un si violent coup de lui que je tombai par terre en pousesant des cris effroyables ; au même instant un homme que je ne voyais pas lève sa canne sur l’enfant qui venait de me battre, les autres prennent la fuite ; le monsieur me relève, puis demande aux gens qui le suivaient si je suis le petit Séverin ; on lui répond : Oui, monseigneur. Alors il me prend dans ses bras, essuie mes larmes avec son mouchoir et marche vers le perron du château dont les portes s’ouvrient pour le recevoir.

» Nous traversons d’immenses salons ornés de tapisseries dont les personnages de grandeur naturelle me font une peur extrême ; je me retourne précipitamment pour ne pas les voir, je cache ma tête entre le cou et l’épaule du monsieur, dans ce brusque mouvement mon bras s’accroche à quelque pointe aiguë qui le déchire ; c’était le rayon d’une plaque en diamants ; mon sang coule et mes cris recommencent, on me calme à force de caresses, de bonbons ; le monsieur auquel tout le monde obéit me prend sur ses genoux, lave ma plaie lui-même, ordonne qu’on fasse venir ma nourrice ; et quand elle arrive,elle me trouve tout consolé de mes petits accidents par le plaisir que je trouve à admirer cette plaque brillante qui m’a fait tant de mal, et à jouer avec une belle montre que le monsieur fait sonner pour medivertir.

» Tout le monde sort, il reste seul avec ma nourrice, et lui parle longtemps tout bas. Un grand domestique ouvre les deux battants d’une porte, je vois une table couverte d’une argenterie brillante, éclairée par des candélabres de ver­meil, je cours vers la table en faisant des exclamations de joie, ma nourrice s’élance après moi pour me retenir, mais je suis déjà grimpé sur les barreaux dorés d’une des chaises qui entourent la table, et le monsieur, qui rit de mon audace, défend à ma nourrice de me prendre et dit :

» — S’il peut y monter tout seul, ma foi, il y restera.

» J’escalade sans beaucoup d’efforts la chaise, et me voilà attablé comme un convive raisonnable.

» — Ce petit gaillard-là ne manquera pas de courage, dit