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Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/95

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XVIII

UN FOU SE CONNAÎT EN SAGESSE


Il est curieux de remarquer, dans certaines circonstances, à quel point, dans la même personne, l’être qui agit peut se passer de l’être qui pense. L’esprit de madame d’Egmont, absorbé dans cette idée, il m’aime encore, était incapable de s’en distraire, et de guider la moindre de ses actions ; pourtant elle eut un maintien convenable pendant sa visite chez la reine, et répondit machinalement ce qu’il fallait répondre, tant la routine de l’usage du monde peut suppléer à la présence d’esprit chez une femme bien élevée. Madame d’Egmont de retour chez elle, loin de tons les importuns, ne se trouva pas plus seule avec sa pensée ; c’était le même trouble, la même joie, le même désespoir.

— Quelle démence ! pensait-elle. Quoi ! parce qu’il m’a dit quelques mots vagues… sans aucun sens… parce que j’ai entendu le seul accent de sa voix… j’oublie qu’il vient volontairement de s’unir à une autre… qu’il vient d’ajouter le plus invincible obstacle à tous ceux qui nous séparaient déjà… l’oublie que je dois le haïr… l’éviter… le maudire comme hauteur de tout ce que je souffre… Ce que je souffre !… Mais d’où vient cette joie qui fait battre mon cœur ?… D’où vient que ce cœur se ranime quand tout concourt à l’anéantir ?… Oh ! mon Dieu, serait-ce un espoir coupable !… Non, je resterai digne de lui… J’ai trop besoin de son amour, de ses regrets, pour jamais… Lui-même me rendra la force d’éteindre cette fièvre qu’un mot a fait renaître… Faut-il donc tant de choses pour me prouver que cette joie est fausse… et que je dois être éternellement malheureuse ?…

Mais cette joie, qui semblait inexplicable à madame d’Egmont, est celle qui ne trompe point, celle qui naît d’un rien, d’une inflexion, d’un de ces mouvements sympathiques, qui soumet subitement une âme à la puissance d’un autre, c’est