Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/101

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— Par grâce, revenez à Versailles, dit le roi à voix basse.

— Je ne puis, sire ; j’ai obtenu de la reine la permission de rester ici jusqu’au…

— Et la certitude de me désespérer par cette résolution ne vous en fera pas changer ?

— Ah ! sire, vous désespérer ! reprit madame de la Tournelle avec un ton d’incrédulité et de modestie.

— Vous feignez d’en douter ? mais peu m’importe, vous serez trop tôt convaincue de tout le mal que vous me faites.

— Moi ! qui donnerais ma vie pour vous éviter un chagrin… un tort !…

— Eh bien, s’il est vrai qu’à force de penser à vous, à vous seule, ajouta le roi en répondant au doute qu’il lisait dans les yeux de madame de la Tournelle, j’aie mérité quelque bon sentiment de votre part, donnez-m’en la preuve en cédant à ma prière. Votre présence m’est devenue indispensable ; ne me la refusez pas.

— Votre Majesté oublie la place que je remplis chez la reine.

— Loin de l’oublier, c’est au nom de la reine elle-même que je vous supplie de ne point m’abandonner. Ah ! ne me livrez pas à moi-même, sinon je ferai quelque extravagance dont la reine sera justement offensée, et que vous aurez à vous reprocher.

— Non, sire, vous ne ferez rien qui puisse offenser la reine, ni me perdre ; si vous en étiez capable, je ne vous fuirais pas.

— La seule idée m’en fait horreur, là, près de vous, quand votre âme si noble, si parfaite, réagit sur la mienne, quand je me sens jaloux d’imiter tant de qualités charmantes, tant de vertus ; mais dès que je n’ai plus l’espérance de vous voir, de vous entendre approuver mes sacrifices, j’en deviens incapable. Il me semble n’avoir vécu jusqu’à présent que dans l’attente d’un être céleste qui devait s’emparer de ma destinée, la rendre glorieuse, fortunée. Oui, de la protection île cet être dépend le bien que je puis faire ; je sens que sa raison me rendrait sage, ajouta-t-il d’un accent pénétré, et qu’un seul de ses regards ferait de moi un héros, un grand roi. Eh bien, ce guide, cet ange. c’est vous… oui, c’est vous, répéta le roi en serrant une main chérie sur son cœur.