Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/242

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qu’il désespère de l’atteindre ; il ne peut y avoir de rivalité de ce genre qu’entre égaux ; et je prouverai bien à madame de Maurepas qu’elle est aussi loin par son rang que par son mérite de la duchesse de Châteauroux.

En vain la duchesse chercha-t-elle à détourner le roi de cette idée.

— Je vous obéis en ne les chassant pas, répondait-il, obéissez-moi en décourageant leur envie.

Alors le roi monta la maison de la duchesse de Châteauroux, il lui donna un attelage de six beaux chevaux, et voulut qu’elle se montrât le jour de sa présentation comme duchesse, dans tout l’éclat d’une parure admirable ; elle reçut le matin même un écrin qui devait servir à la rendre encore plus éblouissante. C’était bien connaître l’esprit des courtisans, et même du public que de dorer, pour ainsi dire, un amour coupable. Tant que la passion du roi pour madame de la Tournelle fut timide, esclave des convenances, on l’accabla de blâme, de chansons, d’épigrammes ; dès qu’elle se montra sans crainte, avec tout l’éclat que le trône sait donner à la galanterie, l’acharnement cessa.

— Allons, dit M. de Maurepas, s’avouant vaincu, nous voici revenu aux amours pompeux de Louis XIV : c’est toujours cela, les victoires viennent peut-être aussi.

L’amour vit de prestige, et c’en est un bien grand que la puissance. Se revêtir d’une parure étincelante, traverser les salons resplendissants où se presse la cour brillante de l’Europe, pour aller saluer respectueusement le monarque dont chacun attend ou redoute le regard, ce regard qui, la veille, était si tendre ; s’incliner trois fois comme une humble sujette, devant ce roi qu’on a vu si peu d’heures avant à ses pieds, voilà une de ces sensations qu’on ne saurait peindre, car elle est toute dans l’imagination poétique, dans le cœur exalté de celle qui l’éprouve.

Madame de Châteauroux était également enivrée de ses souvenirs, de la pompe qui l’entourait, des éloges qui bravaient la silencieuse étiquette pour venir jusqu’à ses oreilles, et surtout de la fierté du roi en la voyant si belle. L’amour le plus passionné n’est pas à l’abri d’un peu de vanité ; et puis, un souverain contraignant les ambassadeurs de toutes les puissances, les plus grands seigneurs de sa cour à rendre