Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/270

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Le croirait-on ! le départ de la duchesse faillit ne pas s’effectuer le jour même, par la difficulté de trouver une voiture. M. de Maurepas, comme ministre de la maison du roi, s’était empressé de donner l’ordre qu’aucun des équipages de Sa Majesté ne fût mis à la disposition de la duchesse de Châteauroux, et personne ne voulait prêter son carosse à la favorite disgraciée. M. d’Argenson, ce ministre qui lui avait tant d’obligations, fut le premier à s’unir à ses ennemis pour lui refuser protection dans le malheur. Enfin l’homme léger, le roué dont chacun se croyait le droit de médire, fut presque le seul qui brava ces misérables craintes pour secourir son amie en butte à la vengeance des partis, à la fureur du peuple. Le duc de Richelieu la força d’accepter sa voiture et ses gens ; lui-même donna à son cocher toutes les instructions nécessaires pour éviter les endroits où devait passer la reine, car on savait que, prévenue par un courrier du duc de Gèvres, elle était partie de Versailles pour se rendre auprès du roi ; et M. de Richelieu voulait éviter une rencontre que l’exaspération du peuple pouvait rendre funeste à madame de Châteauroux ; mais il fallait une seconde voiture pour les femmes qui l’accompagnaient ; le maréchal de Belle-Isle prêta aussi la sienne.

Déjà toute la populace de Metz, ameutée par les princes et les ministres, était rassemblée sous les fenêtres fie la duchesse, et faisait retentir l’air de menaces, de cris insultants. Mesdames de Bellefonds, du Roure et de Rubempré, qui partageaient sa disgrâce, mademoiselle Hébert, et tous les gens de la duchesse, voulaient l’empêcher de sortir pour monter dans son carosse, en disant qu’on allait la massacrer ; tout le donnait à craindre, car ses ennemis avaient répandu dans le peuple qu’elle était l’assassin du roi, la cause des chagrins de la reine ; qu’après lui avoir enlevé le cœur de son époux, elle la privait encore de la vie du père de ses enfants. Toutes ces déclamations, répétées par le peuple, avaient porté sa fureur au comble.

— Laissez-moi partir seule, disait-elle avec une noble résignation ; ne vous exposez point à partager tant d’outrages, ils ne m’effraient point, moi ; le coup qui m’a frappée me rend insensible à tous les autres.