Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/293

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moiselle Hébert durent la possibilité de rester à leur place : un joli visage trouve toujours moyen de se faire écouter, et madame de Châteauroux avait imploré d’une manière si touchante le garde à cheval pour qu’il lui permit de rester près de lui qu’elle avait obtenu cette faveur, au risque d’être blessé par les mouvements du cheval qu’il avait peine à contenir.

La voilà donc établie entre l’arc de triomphe et le cheval ombrageux, se cachant alternativement derrière l’un ou l’autre, de peur d’être reconnue par la plupart de ceux qui composaient le cortége. La haie se forme, les gendarmes, les chevau-légers de la garde, les mousquetaires, gris et noirs, défilent : à leur tête marchent les généraux, les colonels dont madame de Châteauroux a dicté presque toutes les nominations ; elle s’en fie à leur ingratitude pour en être complètement oubliée ; aucun n’aura la pensée qu’elle puisse être là, si humiliée de sa position, si fière de son ouvrage.

À la vue des gardes du corps qui doivent précéder le carrosse du sacre, elle sent redoubler les battements de son cœur. Le duc de Gèvres, gouverneur de Paris, M. de Bernage, prévôt des marchands, arrivent les premiers près de l’arc de triomphe où plus de trois mille lumières éclairent une couronne de laurier, suspendue au monument par des chaînes d’or. Les acclamations redoublent ; les toits des maisons environnantes se couvrent de toute la population que ne peut contenir la place : comme celle du premier étage, est illuminée ; l’artisan le plus pauvre s’est passé de dîner ce jour-là pour fêter son roi bien-aimé ; enfin, les panaches de ce bel attelage, dont les chevaux hennissent, flottent au-dessus des têtes :

— Le voilà ! le voilà ! s’écrie le peuple. Dieu nous le rend, que Dieu nous le garde !

On jetait à ce peuple des pièces d’argent qu’il ne ramassait pas ; la vue d’un roi vainqueur, du libérateur de la France, l’emportait sur l’intérêt même. Jamais l’entrée des empereurs victorieux dans Rome souveraine n’a rien offert de comparable à l’ivresse du peuple français en revoyant le monarque qu’il avait craint de perdre ; enfin l’imagination de madame de Châteauroux était dépassée : son rêve glorieux cédait à la réalité. Ivre de la joie générale, elle a