Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/30

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si belle, si spirituelle, devait naturellement plaire au roi, madame de la Tournelle conserva de cette soirée une impression profondément triste.



V

UN REFUS


Louis XV était alors au plus beau moment de sa vie. À tous les agréments que l’on recherche dans un homme du monde, il joignait un esprit juste, fin et des sentiments nobles qui, bien dirigés, l’auraient rendu capable de grandes actions. Aucun souverain n’avait mieux donné dans son adolescence l’espoir d’un règne heureux et brillant ; et il ne fallait rien moins que l’application constante d’un prêtre ambitieux, pour étouffer tant d’heureuses qualités et une nature si belle et si bonne. Le dégoût de l’étude et l’ennui des affaires, voilà les seuls complices de l’assassinat moral exercé par le cardinal de Fleury sur le caractère de son élève ; en inspirant à Louis XV l’horreur de toute occupation sérieuse, c’était contraindre ses facultés à se reporter sur les objets frivoles, réduire sa volonté en caprices, son esprit en bons mots, ses passions en débauches ; c’était condamner, par une indolence obligée, au petit rôle d’homme aimable, l’homme qui pouvait gouverner dignement une grande nation.

Madame de la Tournelle partageait, avec tous ceux qui aiment la gloire de leur pays, les regrets et l’impatience de voir tant d’éléments de bonheur neutralisés par les vils calculs de quelques ministres et de la plupart des courtisans. Son cœur lui révélait tout ce que renfermait encore de bon, de vertueux, le cœur de Louis XV ; elle se rappelait ce long attachement pour la reine qui n’avait cédé qu’à des refus blessants ; sa tendresse pour ses enfants, dont il était justement adoré, son respect et sa faiblesse même pour son vieux précepteur, étaient aux yeux de madame de la Tournelle la preuve d’un cœur reconnaissant ; mais, après s’être livrée