Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/307

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sonne. Sais-tu où j’ai passé tout le temps que m’ont laissé les fêtes depuis mon arrivée à Versailles ? Dans ton appartement, assis à ta place ordinaire, écrivant sur la table où tu m’écrivais ; enfin j’ai vécu de ton souvenir, de l’espoir de ce moment ; et ceux qui m’entouraient ont deviné, sans peine, qu’aussitôt les fêtes terminées, les convenances satisfaites je volerais vers toi.

— Mais que dira la reine ?…

— Silence, je ne veux rien entendre, dit le roi en l’embrassant : j’ai retrouvé mon guide, mon ange tutélaire, il ne me quittera plus. C’est de lui que j’ai appris à régner, c’est à lui à subir ma puissance. Il s’y résigne, n’est-ce pas ?…

Un regard plein d’une douce langueur, un soupir répondirent seuls à cette impérieuse question. Pour le maître qui se fait adorer, la soumission n’est pas douteuse.

— Que de moments perdus, que de transports à me rendre ! s’écrie le roi ivre d’amour et de bonheur, que de baisers sont dus à ces yeux charmants, fatigués de larmes ! que de soins réclame cette pâleur touchante qui m’accuse et me ravit ! Non, jamais la douleur et la joie n’ont tant ajouté à la beauté d’une femme. C’est un charme qui défie tout ce qu’il y a d’adorable au monde, une vision céleste ! Ô Marianne ! parle-moi, que j’entende ta voix divine ; dis-moi que tant de félicité n’est pas un rêve, dis-moi que tu me suis dans le ciel.

Les cloches du couvent voisin de l’hôtel de Lauraguais sonnèrent en cet instant les matines.

— Grâce, grâce ! s’écria madame de Châteauroux tremblante, les yeux égarés : grâce, pas encore, suspendez ce glas funèbre. Fermez, ah ! fermez ce cercueil… Pitié pour tant d’amour ! que je le serre encore une fois sur mon cœur… niais non… la cloche ne s’arrête point… c’est l’heure fatale… Vois-tu les prêtres qui s’avancent, ajoute-t-elle d’un accent étouffé, en se pressant contre le roi, les vois-tu, ils viennent encore m’arracher de tes bras : cette fois c’est pour toujours !… Ah ! ne permets pas qu’ils nous séparent, Louis, entends-tu ?… ce serait pour toujours.

— Cher ange, calme-toi, dit Louis XV effrayé de ce cruel délire. Je suis là pour te défendre, pour te préserver de