Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

yeux une seconde fois vers la tribune royale. Chacun se rend dans la galerie où va passer le roi avec l’espoir de recueillir un mot, un sourire de lui ; madame de la Tournelle seule se tient à l’écart. Elle frémit d’entendre sa voix, d’apprendre que cette Bible vient de lui ; elle veut garder son incertitude, et se refuse à croire qu’ayant su ce qu’elle préférait par la princesse de Conti, le roi a pensé à le lui offrir d’une manière si gracieuse. Pourtant elle hésite à montrer ce présent magnifique et saint, tant elle craint de le devoir à un sentiment profane, et s’empresse de le soustraire à tous les yeux en le mettant dans le grand sac de velours à galons d’or qui renferme son livre de messe. Ce sac devenu si précieux, elle prie un huissier de la chambre de le faire remettre tout de suite à ses gens ; car elle ne peut sortir encore de la galerie ; l’instinct des courtisans semble les avertir d’une faveur cachée, elle est accablée de politesses, de prévenances et même de flatteries. Enfin elle va se renfermer chez elle pour admirer à loisir les peintures fines et brillantes qui ornent le livre sacré, et pour rêver au bonheur et au malheur d’être l’objet d’une attention si ingénieuse.

Avec une pensée à la fois douce et tourmentante, on vivrait un siècle dans la solitude sans ennui. C’est une mine inépuisable de suppositions, de terreur, d’espoir, de souffrances et de délices. Aussi madame de la Tournelle passât-elle le reste de cette journée sans vouloir recevoir personne. Il y avait le lendemain spectacle à la cour, elle devait y accompagner sa sœur ; et, malgré ses résolutions précédentes, elle se félicite de pouvoir rester toute une soirée en présence de Louis XV, sans avoir ni à l’écouter, ni à lui répondre, deux choses que sa faiblesse redoutait également.



IX

LE SPECTACLE


La nouvelle de la prise d’Égra par le comte de Saxe, secondé par Chevert, fut l’occasion d’un spectacle à la cour, suivi d’un souper dans les grands appartements. C’était la