Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/64

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toutes les autres, demande à être dirigée ; il vous faut des conseils, des défenseurs contre le parti de l’hôtel de Toulouse, et je viens vous dire que vous pouvez compter mon frère au nombre de vos plus fidèles amis.

— Je suis très-reconnaissante, madame, de tant d’intérêt de votre part, reprit madame de la Tournelle avec toute la honte qu’aurait dû avoir madame de Tencin ; mais véritablement je n’en saurais profiter. Je vous jure sur l’honneur que jamais le roi ne m’a dit un mot du sentiment qu’on lui suppose ; et que, lors même que l’amour qu’on lui prête me serait connu, je ne saurais y répondre. Les bontés dont la reine m’honore expliquent assez, je pense, mes devoirs et ma situation.

— Oui, c’est un soin de plus à prendre, j’en conviens, et ce n’est pas moi qui vous engagerai à braver les convenances et à manquer d’égard envers la reine ; mais, cela une fois accordé, le reste ne regarde personne, et rien n’est si facile à concilier que ces sortes de déférences avec les intérêts d’un sentiment romanesque ; celui-ci même y gagne par tous les sacrifices qu’il est obligé de faire. Sans ces petits tourments-là, un amour royal finirait trop vite. Aussi suis-je parfaitement d’avis que vous mettiez en avant le devoir, la reconnaissance, la vertu même, s’il le faut, pour résister le plus longtemps possible ; cela ne peut être que d’un effet excellent auprès d’un sultan qui n’a qu’à jeter le mouchoir pour le voir ramasser par les femmes qui l’entourent. Mais, comme il faudra toujours finir par lui céder, je pense que vous devez d’ici là vous faire un parti assez fort pour résister à tout, même au bonheur que vous donnerez. Voilà ce que ma vieille amitié vous conseille.

— Ah ! madame, s’écria madame de la Tournelle les yeux pleins de larmes, serait-il donc vrai que la plus ferme résolution de rester digne d’estime, de ne pas devenir un monstre d’ingratitude, ne pût sauver de la honte et du remords !

— Il n’y a ni honte ni remords à tout cela, ma chère amie ; vous n’avez point de mari à tromper, point d’enfant qui puisse un jour s’ériger en censeur, pas même de rivale à ménager ; car le sort de la reine n’a rien à perdre ni à gagner : que ce soit vous ou votre sœur aînée qui disposiez du cœur du roi, il ne lui appartiendra pas davantage. Madame de Mailly elle-même lit chaque matin dans son