Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/78

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ter une intrigue qui compromet d’une si indigne manière le caractère du roi ? reprit madame de la Tournelle.

— Fort heureusement, M. de Meuse vient de le trouver, ce moyen ; il s’est engagé à faire parvenir une lettre à madame de Mailly, dans laquelle on lui fera le tableau vrai de la triste position de l’armée d’Allemagne ! C’est la première fois, je pense, qu’elle aura entendu parler d’affaires d’État ; il est convenu qu’elle laissera traîner la lettre sur sa cheminée, et l’on présume que le roi, la voyant tout ouverte, pourra bien la lire.

— Quel moyen ! dit madame de la Tournelle d’un ton de pitié ; quoi, madame de Mailly ne saurait prendre sur elle d’apprendre au roi ce que sait toute la France ?

— C’est que les mauvaises nouvelles sont d’ordinaire fort mal reçues, madame, et qu’il est toujours cruel d’affliger ceux qu’on aime, ajouta le prince de Craon d’un air moqueur.

— Ceux qu’on aime ! répéta madame de la Tournelle, comme si l’on aimait ceux qu’on laisse blâmer !

— Je suis curieux de savoir l’effet que produira cette découverte, dit M. de Chavigny.

— Le roi en sera indigné, n’en doutez pas.

— Oui ; mais le cardinal lui prouvera qu’il a tort de l’être, et il le croira.

Madame de la Tournelle fit un effort sur elle-même pour ne pas combattre cette supposition injurieuse ; mais, ne pouvant supporter une conversation qui blessait tous ses sentiments, elle se leva.

— Vous allez vous préparer pour ce soir ? lui dit madame de Mirepoix.

— Et qu’est-ce donc que vous faites ce soir ?

— Nous avons une belle lecture. C’est une surprise que M. Duverney nous ménage. Il a passé une partie de la journée d’hier chez madame de Tencin avec l’abbé Guasco et le président de Montesquieu, et il a tant fait qu’il a déterminé l’auteur des Lettres persanes à venir nous lire aujourd’hui un petit roman de lui.

— M. de Montesquieu ! s’écria madame de la Tournelle. Ah ! combien je désire le connaître. Un dit sa conversation aussi agréable que ses écrits sont intéressants.

— Jamais je n’ai rencontré d’homme d’un commerce plus doux, d’une gaieté plus soutenue, dit M. de Chavigny.