Page:Nichault - Laure d Estell.djvu/195

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Combien je regrette de m’être livrée avec tant d’abandon, à l’espoir d’être aimée ! Pourquoi ne suis-je pas partie avant son retour ? Je ne l’aurais revu qu’au milieu de témoins imposants, et j’aurais mis sur le compte de sa retenue, tout ce qui n’eût été que l’effet de la froide tranquillité de son âme… À présent je ne puis plus m’abuser, la bonté de son cœur l’a porté à tout risquer pour sauver la vie de mon enfant, et il eût fait pour un autre, ce qu’il a fait pour moi. Voilà, ma Juliette, la plus cruelle pensée qui soit jamais entrée dans mon cœur.

Après être restée une demi-heure près de Lucie, elle a engagé son frère à s’aller reposer, et nous nous sommes retirées. Sir James m’a quittée en me demandant la permission de venir ce matin embrasser Emma dans son lit ; je ne pouvais la lui refuser ; et vois jusqu’où va ma faiblesse, je trouve encore du plaisir à l’attendre.

J’ai vainement essayé de dormir, mes yeux remplis de larmes n’ont pu se fermer ; j’ai passé le reste de la nuit à relire sa lettre, à chercher ce que Frédéric devait lui avoir dit pour produire un si grand changement : car cette lettre peint un sentiment tendre qui s’accorde bien peu avec le ton qu’il a pris maintenant. Je m’y perds… Il faut pourtant que je me résigne à faire un sacrifice, duquel j’attends, non pas le repos, mais au moins quelque soulagement.