Page:Nichault - Physiologie du ridicule.pdf/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la ramène à sa place, elle montre la plus touchante confusion en traversant ainsi tout le salon au bras d’un jeune homme.

Vingt ans se sont écoulés depuis qu’on lui a dit pour la première fois qu’elle était jolie ; elle croit que c’est hier, tant l’uniformité de sa vie en marque peu les jours. Ce sont toujours les mêmes occupations ; elle a conservé tous ses maîtres. Elle prend ses leçons de chant, de piano, de dessin, d’italien et d’anglais comme en sortant de pension ; voilà pour la matinée. Avant dîner, elle met sa robe à la vierge, son petit tablier de taffetas ; s’il vient du monde le soir, elle chante une ou deux romances en tremblant comme une pensionnaire ; puis on montre ses aquarelles aux derniers venus dans la maison ; car on pense bien que les amis qui les admirent depuis vingt ans en ont une idée suffisante. Elle reçoit les compliments avec un embarras modeste, qui s’augmente à chaque exclamation du nouveau présenté ; car c’est sur lui qu’elle vient de placer ses idées d’avenir, et ces chastes émotions qu’elle transmet depuis si longtemps d’un jeune homme à un autre. L’événement a déjà cent fois trompé son attente ; son cœur n’en est pas découragé.