Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/13

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au suprême degré, ce respect imbécile qu’ont ordinairement les jeunes élèves pour celle qui a vieilli dans la pension. Cependant celle-là ignore plus qu’une autre ce qui se passe dans le monde, et comment on doit s’y conduire. Mais, confidente générale de toutes les pensionnaires qui se croyaient en âge d’avoir un secret. Caroline savait les espérances, les projets romanesques de chacune de ses compagnes, et ne manquait point d’en exagérer l’importance pour s’en faire raconter les moindres détails. C’est ainsi qu’elle avait appris la rencontre de mademoiselle Brenneval et du jeune Adrien dans un bal chez le ministre de la guerre et qu’elle avait décidé, qu’ayant engagé deux fois Ermance à danser, il devait en être amoureux fou. La décision flattait l’amour-propre d’Ermance, et jeta dans son cœur un trouble inconnu que l’esprit romanesque de Caroline appela bientôt une passion invincible.

Le bonheur de se croire aimé est sans doute le premier de tous, puisque les plus savants corrupteurs en ont toujours fait leur plus puissante flatterie. La raison, la modestie, tout cède à cette douce erreur. Ermance se disait bien quelquefois qu’une grande passion ne pouvait naître et se maintenir sans preuves de dévouement et de sympathie, et qu’avant de consacrer sa vie à une personne il fallait au moins la connaître. Mais ces réflexions sages et ennuyeuses étaient combattues par des illusions charmantes, des rêves amusants ; et l’esprit d’Ermance n’hésita pas dans son choix. Uniquement occupée du souvenir d’Adrien, elle passait tous ses jours de sortie à le chercher à la promenade et au spectacle où on la conduisait, et quand elle l’apercevait se dirigeant vers la calèche où elle était avec son père, s’il venait s’informer des nouvelles de leur santé à la sortie de l’Opéra, ce grand événement redoublait l’innocente folie d’Ermance, à tel point qu’elle attendait avec impatience le moment de retourner à la pension pour savoir quel nom sa confidente donnerait à une si simple démarche.

Ainsi, chez les femmes dont l’imagination s’éveille bien avant le cœur, l’impossible et le mystère ont seuls le pouvoir de les captiver : la plupart de leurs sentiments ne naissent qu’après avoir été baptisés par une amie.