son père pour faire nommer M. Salandray à la recette particulière de M… ; elle s’était chargée de fournir le cautionnement, et venait d’envoyer à madame Campan la nomination qui assurait le bonheur de son élève. Malgré ses dédains pour le mariage et les maris, mademoiselle Dermeuil reçut avec joie la nouvelle de ce bienfait, que suivit bientôt l’envoi d’un élégant trousseau, offert par son amie.
En étant aussi généreuse pour Caroline, madame de Lorency n’ignorait point la part qu’elle avait dans ses torts, et peut-être se félicitait-elle en secret de l’événement qui éloignait d’elle la personne dont les conseils romanesques avaient eu une si malheureuse influence sur son imagination. Mais cette excuse ne diminuait point la sévérité de son jugement contre elle-même ; et il lui semblait impossible qu’on ne devinât point sa faute au constant remords qu’elle en éprouvait.
— Croyez-vous, disait-elle à son oncle, qu’on puisse s’abuser sur la cause d’un chagrin qui résiste à tous les plaisirs qu’on envie ? Que doivent penser les gens qui me voient entourée des plus doux soins, comblée par la fortune, unie à l’homme le plus aimable, et pourtant malheureuse au point de ne pouvoir, malgré tous mes efforts, cacher le tourment qui me poursuit ?
— Ils te supposent, répondait le président, un de ces esprits chagrins que l’excès du bonheur ennuie. Comment te croiraient-ils coupable ? Ta conduite ne saurait en donner l’idée : tu es d’une indulgence parfaite sur celle des autres, et cette bonté seule suffirait pour qu’on te distinguât des femmes qui ont chaque jour de nouveaux torts à se reprocher. Va, mon enfant, le monde est plus juste qu’on ne le dit ; il tient compte de tout ce qu’on fait pour conserver ou regagner son estime. Tu verras bientôt qu’il ne confond pas l’erreur avec le vice. Prends courage, le jour viendra où…
En ce moment le bruit d’une voiture de poste annonça l’arrivée de M. de Lorency.