nait à cette cour déchue l’aspect de celle d’une petite principauté d’Allemagne. Les grands airs ne vont qu’à la grande puissance, et le cérémonial observé à la Malmaison, sans abuser sur le peu de crédit qui restait à l’impératrice détrônée, empêchait qu’on se plût à sa cour.
Elle reçut madame de Lorency et madame Donavel avec la reconnaissance pleine de dignité qu’elle mettait à accueillir les témoignages de l’intérêt qu’on lui conservait. Malgré la tristesse de son sourire, elle paraissait moins malheureuse alors que lorsqu’un reste d’espoir l’agitait encore. Elle savait que l’ingratitude de l’empereur envers elle était généralement blâmée, que sa jeune rivale ne faisait pas les honneurs de la cour avec autant de grâce qu’elle, et ces faibles plaisirs d’amour-propre consolaient un peu son cœur.
Il y avait ce soir-là chez elle plusieurs mécontents oubliés dans les faveurs répandues à l’occasion du mariage, un petit nombre de personnes dont les obligations envers l’impératrice Joséphine étaient trop connues pour ne pas avoir l’air de se les rappeler elles-mêmes, et quelques étrangers attachés au corps diplomatique ; parmi ces derniers on remarquait le jeune comte Albert de Sh…, dont la figure agréable et la tournure distinguée prévenaient favorablement. L’exclamation qu’il avait faite malgré lui en voyant entrer madame de Lorency excita le sourire du comte de F…, qui se trouvait près de lui.
— Vous avez bien raison d’en être amoureux, dit-il, car elle est ravissante.
— Et qui vous a dit que j’en fusse amoureux ? reprit le comte Albert avec étonnement.
— Qui ! mais vous. Quand vous voudrez cacher votre secret, il faudra vous interdire toute exclamation à l’aspect inattendu de certaine personne.
— Comme vous jugez légèrement ! Je n’ai pas même l’honneur de connaître celle-là.
— Vous l’avez souvent rencontrée, reprit M. de F… ; en faut-il davantage pour avoir la tête tournée par une aussi jolie femme ?