savait l’amour qu’il ressentait et craignait de l’encourager par sa présence : c’était déjà un pas de fait, le comte Albert, sûr de sa constance, espérait tout du temps et de ce penchant irrésistible qui attire vers celui qui aime avec persévérance. Albert, nourri de la philosophie allemande, croyait qu’une volonté forte exerce un pouvoir magnétique, et l’usage si répandu en France de cacher avec plus de soin l’amour qu’on porte à son mari qu’on n’en met à dissimuler un sentiment coupable ne lui laissait pas craindre d’avoir à combattre une vive passion. Quant à la vertu, aux devoirs, à la réputation de madame de Lorency, il consentait à leur immoler son bonheur, bornant ses vœux à celui d’être aimé.
Dans la situation où vivait Ermance, un attachement pareil était peut-être le seul qui lui eût offert de vraies consolations, car elle n’aurait pas eu à en rougir. Mais les soupçons d’Adhémar, les propos des malveillants, lui interdisaient toute espèce d’intimité avec M. de Sh…, même celle de l’amitié la plus pure.
Embarrassé de ne pouvoir céder aux instances de madame de Volberg, le président répondit qu’il s’était engagé pour ce jour-là chez M. de Gévrieux, et que la susceptibilité de son vieil ami ne lui permettait pas de manquer à sa promesse. En effet, M. de Montvilliers devait lui donner un jour de la semaine, mais il ne l’avait point encore fixé ; il fut arrêté que ce serait le même que celui de la fête de madame de Volberg. Ermance, connaissant fort peu M. de Gévrieux, pria son oncle et Mélanie de la dispenser de les accompagner.
Soit que le comte Albert eût gagné un des gens de madame de Lorency pour l’instruire de ses démarches, soit qu’il eût deviné que le dîner du vieux conseiller au parlement lui paraîtrait trop ennuyeux pour ne pas l’éviter, malgré le grand nombre des convives réunis chez sa tante et l’obligation où il était de leur faire aussi les honneurs de la soirée, il prétexta un ordre du prince de Sclrwartzemberg et monta à cheval au sortir de table. Arrivé à Montvilliers, qui se trouvait sur la route, il laissa ses chevaux et son domestique au tourne-bride, et suivit à pied l’avenue du château.