Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/277

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ches, et la vie retirée que menait Ermance ne lui offrant nulle occasion de la soupçonner, il ne lui adressait plus de ces mots amers dont elle gardait un souvenir si cruel ; mais sa froideur, sa contrainte avec elle s’augmentait chaque jour. Quelquefois, après l’avoir regardée longtemps, après l’avoir entendue chanter une romance, il se levait tout à coup et sortait du salon, comme s’il cherchait à cacher une émotion invincible ; mais, le lendemain de ces jours-là, Ermance était sûre de ne le point voir, ou si quelque raison l’obligeait à la rencontrer, il ne lui adressait pas la parole, et ne levait pas même les yeux sur elle. Alors Léon, qui le croyait triste, allait le caresser ; mais sa gentillesse, loin de triompher de l’humeur d’Adhémar, semblait l’accroitre.

Enfin, la guerre avec la Russie étant déclarée, l’empereur partit avec Marie-Louise pour Dresde ; une partie de la cour les suivit, et M. de Lorency quitta Paris sans se douter plus que son maître de l’affreux hiver qui les attendait.

Les événements de cette triste campagne sont trop connus et trop douloureux à rappeler pour les retracer ici ; et, d’ailleurs, quel intérêt particulier pourrait se soutenir à côté d’un intérêt semblable ! quel récit pourrait se faire lire après celui de ce drame homérique ! et qui oserait l’entreprendre après avoir frémi aux pages éloquentes de M. de Ségur !

À peine tenterait-on de peindre l’abattement, la terreur qu’inspirait à Paris la lecture des bulletins de cette grande-armée, dont plus de la moitié était déjà ensevelie sous les neiges de la Russie ! Chacun courait après la nouvelle qui devait désespérer lui ou les siens ; on s’abordait dans la rue sans se souhaiter le bonjour : « Est-il vrai qu’il soit mort ? » disait-on en pensant à un fils, à un frère, et des yeux qui se levaient au ciel faisaient seuls la réponse. Le père de famille se renfermait pour lire dans la solitude son journal, se résignant à recevoir courageusement le coup qui devait accabler sa femme ou sa fille, dans la nécessité de les y préparer. On en était réduit à se féliciter d’apprendre que celui pour lequel on tremblait était parvenu jusqu’à Wilna, où il gisait à l’hôpital, couvert de blessures et dévoré par la fièvre jaune, ou bien que, sur-