Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/28

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— J’ai vécu dans la retraite, madame. Après la mort de M. de Malesherbes, de mon digne ami, je ne me suis plus senti la force de vivre parmi ses bourreaux ; je m e suis retiré dans le château qu’ils ont bien voulu ne brûler qu’à moitié ; et sans le désir d’assister au mariage de ma petite-nièce, je vous avoue que je n’en serais pas sorti.

— Quoi, vous êtes parent de M. Brenneval, reprit madame de Cernan avec la surprise la plus humiliante pour tous deux ; et comment cela ?

— Sa femme était la fille de ma sœur, répliqua M. de Montvilliers d’un ton à prouver qu’il n’était pas honteux de cette alliance, et c’est à lui que j’ai dû d’échapper à l’échafaud, car il m’a fait sortir de prison et m’a donné asile au plus fort de la Terreur.

— Ah ! je conçois mieux qu’une autre, dit la comtesse, ce qu’un pareil service mérite de reconnaissance !

Il y avait dans cette réflexion une naïveté d’insolence qui indigna M. de Lorency : la crainte d’en paraître complice lui fit prendre la parole ; il vanta plusieurs tableaux qui décoraient la bibliothèque, loua le bon goût qui présidait à l’arrangement de la maison, parla des améliorations survenues dans nos mœurs depuis la Révolution, et d’une foule d’autres choses qui ne signifiaient rien, si ce n’est une politesse bienveillante dont M. de Montvilliers et son neveu furent charmés. Cependant chacun était préoccupé d’une arrière-pensée qui gênait la conversation. M. Brenneval s’en aperçut, sonna un valet de chambre, lui dit quelques mots à l’oreille, et, peu de moments après, mademoiselle Brenneval entra la tête baissée, les yeux rouges, affublée d’un fichu montant hérissé de garnitures brodées, enfin singulièrement enlaidie par tout l’attirail d’une parure faite de mauvaise humeur, et dont on ne se promet aucun profit d’amour-propre. Son père la présenta à madame de Cernan avec les phrases obligées, auxquelles celle-ci répondit par les flatteries les plus embarrassantes pour la future, et des félicitations sans bornes pour l’heureux Adhémar et sa famille. Curieux de savoir jusqu’à quel point sa tante pouvait exagérer les agréments d’une per-