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Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/284

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enfant, lui à qui on couperait bras et jambes sans lui tirer une larme ; oui, madame, il pleurait, et moi aussi j’avais les yeux tout brouillés, ce qu’il vit bien, car il me tendit la main comme pour me dire :

» — Toi aussi tu aimes ta patrie ; c’est notre mère à tous deux.

» Avec quelle reconnaissance je m’emparai de cette main, que je baisai de tout cœur ; mais combien je fus saisi de crainte en la sentant si froide, en la voyant si livide ! Je pressentis que le frisson allait le reprendre. Hélas ! je ne me trompais point ; nous n’étions pas ici depuis une heure que le délire et les convulsions avaient recommencé. Heureusement, le médecin et le chirurgien de l’hôpital sont arrivés à temps, et il n’y a plus maintenant que de la patience à avoir : c’est ce que tous les deux nous ont bien affirmé ce matin, et madame peut compter sur la vérité de ce que je lui dis, ajouta Étienne en s’apercevant que madame de Lorency était préoccupée d’une autre idée en l’écoutant.

Il est vrai que, tout en prêtant au récit d’Étienne une attention extrême, tout en frémissant du danger qui menaçait encore Adhémar, il se faisait un travail dans l’esprit d’Ermance indépendant des intérêts de son cœur ; elle se demandait quel parti elle devait prendre dans cette circonstance où la vie de celui qu’elle aimait pouvait dépendre d’une impression douloureuse, peut-être même d’une contrariété. Suspendue entre la crainte de le surprendre désagréablement lorsqu’une autre occupait sa place auprès de lui et l’espoir que peut-être il la regrettait dans un moment où toutes les affections apparaissent, elle n’osait se décider : aussi, comme toutes les âmes généreuses, elle choisit le plus contraire à son intérêt. En préférant ce qui nous coûte le plus, nous évitons du moins les peines de conscience, et c’est toujours ce repos-là d’assuré.

— Oui, dit Ermance en sortant de sa rêverie, il faut que rien ne le trouble, qu’il ne soit pas importuné par l’idée de ce que je souffre. Je le connais… malgré lui, la position où je me trouve ici l’humilierait pour moi… il en serait malheur-