— Allez vers Adhémar, dit-elle à voix basse ; empêchez qu’on ne remarque ses continuelles distractions. En vérité, je ne sais où il a l’esprit ce soir.
— Et le cœur ? dit en souriant M. de Maizières. Il me semble que vous n’en êtes pas si inquiète.
— Grâce de vos malices, reprit la duchesse, charmée de voir qu’on reconnaissait encore son empire ; ce qui se passe ici est plus sérieux que vous ne pensez, et vous savez que l’empereur n’aime pas les mauvaises plaisanteries.
— Encore moins les bonnes, répliqua Ferdinand : aussi n’ai-je pas envie d’en faire sur sa matrimoniomanie impériale.
— Voilà comme vous les évitez ? Eh bien, cette prudence-là pourra bien vous envoyer, un de ces jours, sur les bords du lac de Genève.
— À Coppet ? dans cette prison des beaux-esprits, où tout ce qui ne fait ni prose ni vers, est obligé d’en réciter en plein théâtre, pour l’amusement d’un parterre suisse ?… J’y mourrais avant huit jours d’exil, moi qui ai l’horreur de tout ce qui écrit ; mais sice malheur m’arrivait, madame, avec votre crédit, ne pourriez-vous pas faire commuer ma peine en celle des galères ? J’en serais d’une reconnaissance…
— Vraiment, reprit la duchesse, ne seriez-vous pas bien à plaindre entre la plus spirituelle et la plus jolie femme de France ?
— Peut-être ; celle-ci, malgré tout ce qu’elle a d’enchanteur, aurait bien de la peine à me faire supporter l’autre : cependant une femme jeune et belle affrontant la colère qui fait trembler l’Europe, et cela pour partager l’exil d’une amie, c’est fort séduisant, et je crois que je me résignerais.
— Vous ? ne vous en flattez pas, je vous connais : s’il vous fallait renoncer au plaisir d’aller tous les soirs à l’Opéra, d’aller ensuite faire votre cour au ministre des relations extérieures, et de là souper chez madame Audebert, vous seriez le plus malheureux des hommes. Où médiriez-vous aussi bien qu’à Paris ?
— Ah ! je pense qu’on trouve de grandes ressources partout en