l’exige. Comment risquer de voir s’éteindre une maison fondée par tant de conquêtes, et compromettre la tranquillité de l’État pour un vain sentiment de reconnaissance ?
— Vous avez beau l’excuser, répondait madame G…, c’est un mauvais procédé qui lui portera malheur. Il est superstitieux, et je l’ai vu autrefois si bien convaincu que sa femme lui portait bonheur, qu’il ne se serait jamais mis en campagne sans venir l’embrasser. C’est pourquoi il l’obligeait à aller le rejoindre sur la frontière des pays qu’il s’apprêtait à conquérir. Cette croyance n’est pas morte en son cœur, soyez-en sûr, et s’il la brave elle le tourmentera plus d’une fois au milieu de sa pompeuse infidélité.
— Avez-vous vu la contenance de Metternich ? C’est lui qui l’emportera, je le parie ; nous aurons une Autrichienne, disait le général M… Je n’en serais pas fâché, moi qui ai justement épousé une Allemande.
— Pauvre femme ! pensa Ermance, qui écoutait les discours que chacun tenait sur ce grand événement, en attendant sa voiture, que va-t-il lui rester de cette cour brillante !
Ou ne la laissa pas longtemps livrée à ces généreuses reflexions. L’accueil qu’elle venait de recevoir de l’empereur et des reines lui attira les hommages de tous ceux qui prophétisaient déjà sa prochaine faveur à la cour ; on savait que son père exigeait qu’elle ouvrît sa maison au commencement de l’hiver ; on savait qu’elle donnerait des concerts, des bals, et l’on voulait d’avance être inscrit sur sa liste. À défaut de mieux, ces prévenances flatteuses amusaient assez madame de Lorency ; elle avait remarqué que son mari en prenait plus de considération pour elle. Quoique fort découragée de lui plaire, elle aime tout ce qui lui donne de l’importance à ses yeux, et, sans prétendre à le captiver comme amant, c’est un juge qu’elle veut séduire.
Le lendemain de ce jour, l’empereur reçut la nouvelle de l’armement de l’Autriche ; deux heures après, il était en route pour l’Allemagne, où la plus grande partie de son armée d’Espagne avait ordre de le rejoindre.