Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/104

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de nouveaux droits à l’estime des gens d’honneur par une conduite aussi ferme que généreuse ; mais il commençait à souffrir vivement de son bras, et je fus envoyé chez l’ami de M. Dolivar pour y chercher le chirurgien. Je le ramenai bientôt dans l’auberge où ces messieurs avaient fait préparer un déjeuner. Il nous dit que M. Dolivar ne serait point estropié, mais qu’il se ressentirait longtemps de sa blessure ; que celle de Gustave n’était que douloureuse, et le forcerait seulement à porter plusieurs jours son bras en écharpe.

De retour à Paris, M. Samson raconta l’aventure à tant des gens de sa connaissance, qu’en moins de deux heures elle fut le sujet de toutes les conversations ; et le soir même, dans les coulisses de l’Opéra, un des courtisans de mademoiselle Abertine, s’étant empressé de la lui apprendre au moment où elle allait danser son pas de trois, un évanouissement subit l’empêcha de paraître.

— Ah ! le monstre ! s’écria-t-elle en reprenant ses sens, voilà donc la cause de ce mystère ! je ne veux plus le revoir de ma vie.

Et, tout en se livrant à son désespoir, mademoiselle Albertine rajustait non costume. Les sensibles témoins de cette scène voulaient ramener chez elle l’amante désolée pour lui prodiguer les soins dus au malheur ; mais M. G***, grand-maître des ballets, très-endurci contre les chagrins de ce genre, exigeait qu’on rétablît à la fin du troisième acte le pas de trois que le public demandait à grands cris ; et, malgré le conflit de sentiments qui agitaient le cœur de mademoiselle Albertine, elle se vit obligée de reprendre le cours de ses pirouettes ; mais ce ne fut pas sans les entremêler de questions sur l’état de ce malheureux Dolivar, dont la vie lui était pour le moment si chère, qu’elle disait très-justement :

— Sans lui, je ne pourrais exister.

Cependant à travers ces nobles regrets il se mêlait de certaines réflexions assez favorables au vainqueur de M. Dolivar ; et si la reconnaissance ou l’intérêt avait parlé moins haut, le jeune militaire l’aurait probablement emporté sur le riche fournisseur ; mais l’amour doit céder au devoir : c’est une sentence d’Opéra qui n’est plus guère respectée que dans