Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/113

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tuellement en revue ; ce devoir satisfait, le bon ton exigeait qu’on rentrât dans sa loge en faisant le plus de bruit possible pour être mieux remarqué des spectateurs, que la crainte de perdre leur place empêchait de la quitter. L’absence de presque toutes les femmes pendant cet intervalle m’en fit d’autant plus observer une fort jolie, qui, moins agitée que les autres de la fureur de se montrer, était restée tranquillement auprès de sa vieille compagne. Le parterre la récompensait de cette bonne action par l’éloge répété de son charmant visage, où la modestie se mêlait à la grâce. Un trouble apparent la rendait encore plus attrayante, et chacun l’attribuait aux regards qui se portaient sur elle ; mais ceux du public n’en étaient pas seuls la cause ; je m’en doutais : et, voulant découvrir l’objet d’un si doux embarras, mes yeux se tournèrent du côté opposé, où la vue d’un jeune homme à moitié caché derrière une colonne m’expliqua le mystère. Le soin qu’il prenait de se tenir dans l’ombre m’empêcha quelque temps de le reconnaître ; mais c’était bien lui, je ne pouvais m’y tromper : c’était Gustave.

Cette découverte ajouta beaucoup d’intérêt à celui que m’inspirait la dame ; j’accablai mes voisins de questions sur son compte, et j’appris qu’elle était femme d’un général vieux et jaloux, qui l’avait recommandée à la surveillance d’une vieille parente pendant qu’il se battait à l’armée d’Italie. En zélé confident, je méditais déjà quelque bon tour pour tromper la duègne, lorsque le vicomte me dit qu’il savait d’un de ses amis, que le général Verseuil avait écrit à sa femme de venir le rejoindre dès que la saison permettrait de se mettre en route.

Eh bien, tant mieux, pensai-je, si jaloux que soit un mari, il est toujours plus facile à conduire que ces Argus femelles dont l’expérience prévoit tout.

Ce roman me divertissait d’avance ; l’idée de le raconter à mon maître avant même qu’il en eût formé le plan me promettait autant de plaisir qu’à lui ; mais, pour livrer mon imagination à cette nouvelle conception, il fallait au moins savoir quelque chose des sentiments du héros et de l’héroïne, et c’est ce que le duo d’Armide ne me laissa pas longtemps ignorer. Ce chef-d’œuvre d’amour, chanté par Garat et made-