que la mienne s’était laissée distraire par la présence d’une jolie femme de chambre, dont les soupirs et les exclamations tragiques prouvaient toute sa bonne volonté à nous persuader de l’état dangereux de sa maîtresse. Désirant m’acquérir la bienveillance de cette gentille soubrette, dès que nous fûmes à Lyon, je commençai mon cours de galanterie par m’emparer des cartons qu’elle se disposait à porter chez madame de Verseuil. Pour prix de ce léger service, mademoiselle Julie entra en conversation avec moi, et m’apprit que sa maîtresse, n’ayant plus aucun ressentiment de son indisposition, avait refusé de se mettre au lit, et s’apprêtait à faire un peu de toilette pour souper en compagnie. Je portai aussitôt cette nouvelle à mon maître : il n’en parut pas étonné ; mais il demanda vivement tout ce qu’il lui fallait pour écrire. Notre hôte vint au même instant prendre ses ordres, et se féliciter de l’honneur de loger le fils de ce marquis de Révanne, qui s’était souvent arrêté chez lui dans ses différents voyages. Ne doutant pas que le fils d’un émigré ne fût un ennemi né de tout ce qui tenait au nouveau régime, il se mit à déplorer l’ancien, en appelant des noms les plus injurieux tous les gens qui prenaient parti dans l’armée républicaine. Je ris d’avance de la mine qu’il ferait lorsque le passe-port de Gustave lui apprendrait le grade qu’il avait dans cette armée. Après avoir fait sa profession de foi politique, notre hôte entama le récit du siége de Lyon, sans s’apercevoir que mon maître, occupé à écrire, se souciait fort peu d’écouter les détails d’un événement si connu, et que je profitais seul de son éloquence. Cependant, il s’interrompit tout à coup, en voyant Gustave cacheter sa lettre, bien persuadé qu’il allait le charger de la faire porter. Mais Gustave se leva, mit la lettre dans sa poche, et répondit d’un air embarrassé, qu’il l’enverrait à la poste avec plusieurs autres. J’en conclus qu’il espérait trouver une occasion de la mettre lui-même à son adresse, et comme j’ignorais alors toutes les raisons qui l’autorisaient à tenter cette démarche, je la taxai d’imprudence ; mais je reconnus mon erreur, lorsqu’au moment du souper, madame de Verseuil laissa tomber un de ses gants, que mon maître, placé auprès d’elle, s’empressa de ramasser, mais qu’il ne donna qu’après l’avoir rendu
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