canon nous servait de guide, et nous rejoignîmes la division du général Serrurier à l’instant où elle atteignait l’arrière-garde de l’ennemi, sur les hauteurs en avant de Vico. Là s’engagea le combat, et je dois confesser l’impression terrible que je ressentis au bruit des premières décharges de mousqueterie qui se firent entendre. Certes, si j’étais mort alors d’un boulet de canon, j’aurais laissé une pauvre opinion de mon courage, et cependant il m’a, depuis, assez souvent secondé pour pouvoir en répondre. Au reste, j’ai entendu plusieurs fois raconter à nos plus braves guerriers le tremblement involontaire qui s’était emparé d’eux à leur première bataille ; et ils avaient sur moi l’avantage d’agir, de tuer par-ci par-là, de se défendre enfin, distractions fort nécessaires en pareilles circonstances. Ma situation était bien plus cruelle : Posté sur une hauteur à portée du canon, sans qu’il me fût permis de me mêler aux combattants, je suivais des yeux les mouvements des deux armées, et croyais toujours reconnaître, dans l’officier frappé d’un coup mortel, le fils de madame de Révanne. Chaque instant redoublait cette inquiétude, que les cris de la victoire ne firent pas même cesser ; car, notre division s’étant mise à la poursuite de l’armée piémontaise, ce n’est qu’à Mondovi que je retrouvai Gustave couvert de sueur, de poussière, son mouchoir autour du bras et un drapeau à la main. En le revoyant, je ne pus me défendre d’un sentiment de joie qui remplit mes yeux de larmes. Il s’en aperçut, et, me sautant au cou :
— Brave garçon, me dit-il, tu pensais à ma mère ; sois tranquille, elle sera contente de moi.
— Mais vous êtes blessé ! m’écriai-je.
— Ce n’est rien : quelques égratignures.
Comme il finissait ces mots, le général Berthier lui fit dire que le général en chef le demandait ; et Gustave, tout troublé de l’idée de paraître ainsi devant ce grand capitaine, voulait se rajuster un peu.
— Gardez-vous-en bien, lui dis-je ; on ne quitte point sa parure avant la fin de la fête.
Alors, ressaisissant son drapeau, il suivit l’officier qui devait le conduire vers Bonaparte.