Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/16

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accablait de ses questions ; j’avais consenti à lui répondre que j’allais au château de Révanne, mais, lorsqu’il me demanda sans façon le motif qui m’y conduisait, je pris un air si important, pour lui dire que c’était une affaire particulière, qu’il n’osa pas continuer son interrogatoire. Alors, espérant deviner par sa finesse ce qu’il ne pouvait obtenir de ma franchise, il se mit à faire un grand éloge de madame de Révanne ; la marchande de toile se permit de le contredire en signalant des défauts qui devaient détruire l’effet du panégyrique. C’est tout ce qu’attendait notre avocat pour changer son discours en véritable plaidoyer. À dater de ce moment il n’y eut plus moyen de l’interrompre ; et, tout en convenant que madame de Révanne avait peut-être trouvé trop de plaisir à s’entendre vanter dans sa jeunesse, il soutint que son esprit, sa bonté, joints aux charmes d’un visage encore fort agréable, en faisait une personne très-distinguée. On ferait un livre des paroles qu’il employa pour nous prouver ce fait.

— Puisqu’elle est si vertueuse, interrompit enfin la marchande, pourquoi n’a-t-elle pas suivi son mari à Coblentz ?

— Parce qu’il ne l’a pas voulu, s’écria l’avocat, j’en puis fournir les preuves.

À ces mots il récita par cœur une lettre du marquis de Révanne à sa femme, par laquelle il lui défendait de le rejoindre, en l’assurant qu’elle le reverrait bientôt à la tête d’une armée triomphante, qui n’avait qu’à se montrer pour mettre en fuite les hordes républicaines. À ce passage, l’officier haussa les épaules ; l’avocat n’en fut point troublé, et continua de nous expliquer comment cette lettre, ayant été saisie par les autorités qui commandaient alors, fut imprimée dans un journal, et valut à madame de Révanne cinq mois de prison. Son fils, caché chez un de ses fermiers, avait échappé à la fureur des brigands qui le poursuivaient : rentré depuis dans ses propriétés, il vivait auprès de sa mère, et l’on vantait également les soins qu’elle avait pris de son éducation, et la manière dont il en avait profité. Malheureusement, ajouta-t-il, les agréments personnels de ce jeune homme nuiront beaucoup à sa destinée ; il n’a que dix-neuf ans, et il est