Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/177

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— Vraiment non, et je ne sais trop celui qu’elle va me faire jouer.

— Qu’importe, pourvu qu’il soit amusant, et que vous soyez en scène avec une jolie femme ?

— Ah ! celle-là est d’une beauté incomparable !

— En ce cas, vous n’avez rien à risquer.

— Et ma conscience donc ?

— Bon ! ces péchés-là sont remis d’avance.

— Au reste, je ne sais pas pourquoi elle s’alarmerait : je suis, jusqu’à présent, fort innocent, et probablement je ne trouverai pas de si tôt l’occasion d’être coupable.

— On dirait que vous la regrettez ?

— Il est certain que, si j’avais le cœur libre…

— Et ne sauriez-vous, monsieur, vous amuser sans le mettre de la partie ?

— Au fait, on n’est pas forcé d’aimer ce qu’on admire.

— Elle est donc bien admirable ? Comment la nomme-t-on ?

— Je n’en sais rien. Je causais avec plusieurs officiers lorsqu’elle est entrée dans la salle de bal. Son arrivée faisait la plus vive sensation. J’entendais de tous côtés des exclamations sur sa beauté, et, curieux de voir l’objet de tout ce bruit, je m’approchai des admirateurs qui l’entouraient. L’un d’eux me dit, avec toute l’emphase italienne :

» — Avez-vous jamais vu deux astres plus éblouissants que ces yeux-là ?

» — Je conviens qu’ils sont charmants.

» Aussitôt la cavaliere servente s’empare de ma main, me présente à la dame et lui dit :

» — Che lei degna ricevere l’omaggio d’un giovinetto garbato che sospira pe’ suoi bei lucci[1].

« Cette déclaration imprévue est accueillie par le plus gracieux sourire et des mots obligeants. J’y réponds en invitant à danser la belle Milanaise. Elle accepte, et me voilà au même instant engagé dans une conversation intime, à laquelle je n’étais nullement préparé.

  1. Daignez recevoir l’hommage d’un jeune homme aimable qui soupire pour vos beaux yeux.