Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/194

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précieux, il fallait aller au palais archiducal, où tous ces objets venaient d’être réunis par les soins de nos artistes français, pour être envoyés au Musée de Paris. Athénaïs, qui désirait rentrer dans la maison de Stephania le plus tard possible, accepta avec empressement la proposition de M. Rughesi. On remonta en voiture pour se rendre au palais. Le général en chef y logeait encore, et ce fut lui-même qui fit à madame de Verseuil les honneurs de tous les chefs-d’œuvre qu’il venait d’acquérir à la France. Un pareil hommage était bien fait pour enivrer Athénaïs, et l’on pouvait s’en rapporter à sa coquetterie pour en tirer tout le parti possible. Le général, content de s’entendre louer avec tant de délicatesse par une personne charmante, et qui semblait craindre de montrer son esprit, l’encourageait par des mots flatteurs à causer avec lui. Soit calcul de la part de madame de Verseuil, soit l’effet d’un sentiment fort naturel en présence d’un homme si extraordinaire, elle avait en répondant à Bonaparte une sorte de timidité qui tenait de l’émotion et lui donnait un charme inexprimable. Gustave en fit tristement la remarque ; il reconnaissait dans ces yeux à demi-baissés, dans cette voix émue, les regards et les douces inflexions qui avaient souvent pénétré son cœur d’amour et de reconnaissance ; et le souvenir de sa propre infidélité se joignant aux inquiétudes que ce moment pouvait lui faire concevoir, il éprouva au même instant tous les supplices de la jalousie. Bonaparte les accrut sans s’en douter ; car il lui disait en riant :

— La femme de votre général est bien embellie depuis cet hiver. Quand je l’ai vue chez votre mère, elle m’avait paru, moins jolie, et je vous fais mon compliment d’être aussi bien placé pour la voir tous les jours.

Gustave n’était pas en état de répondre à de telles félicitations, et fort à propos pour lui, M. Rughesi vint à son secours, en suppliant, le général de vouloir bien assister le lendemain à la fête qu’il donnait aux principaux officiers de l’armée et aux premières familles de Milan. Madame de Verseuil joignit ses instances à celles de M. Rughesi. Bonaparte accepta, et dit :

— Allons encore un jour donné au plaisir, et nous reprendrons ensuite le chemin de Mantoue.